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Grands Lacs : Une nouvelle géopolitique de la paix africaine esquissée à Paris

Didier ASSOGBA
8 Min Read

Sous les dorures de l’Élysée, jeudi 30 octobre, la diplomatie s’est mise au service de la paix africaine. À l’initiative conjointe de la France et du Togo, la communauté internationale s’est réunie pour une Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs, l’une des zones les plus instables du continent. La rencontre a été co-présidée par Emmanuel Macron, président français, et Faure Gnassingbé, chef de l’exécutif togolais et Médiateur de l’Union africaine pour la République démocratique du Congo (RDC). Elle marque une tentative rare de repenser la gestion humanitaire et sécuritaire africaine sous l’angle de la souveraineté partagée.

Autour de la table – ou par visioconférence – se sont retrouvés António Guterres, secrétaire général de l’ONU, Félix-Antoine Tshisekedi, président de la RDC, ainsi qu’une soixantaine de hauts émissaires venus d’Afrique, d’Europe, d’Asie et du monde arabe. L’Union africaine, l’Union européenne et plusieurs partenaires bilatéraux y étaient également représentés. Tous réunis autour d’un constat implacable : la région des Grands Lacs demeure le miroir des contradictions du monde, où la richesse du sous-sol nourrit la misère des peuples et où les interventions internationales, souvent bien intentionnées, peinent à s’émanciper de la logique de dépendance.

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Une diplomatie togolaise qui assume sa voix africaine

Dans sa prise de parole, Faure Gnassingbé a développé une vision à la fois pragmatique et philosophique de la réponse à la crise humanitaire. Le président togolais, devenu l’un des rares dirigeants africains à faire le lien entre médiation politique, souveraineté économique et dignité continentale, a défendu une approche qu’il résume en trois axes : une réponse africaine durable, une gouvernance africaine de la solidarité et la rupture avec l’économie de guerre.

« L’urgence humanitaire appelle désormais une réponse durable et intégrée. Et cette réponse doit être africaine », a-t-il affirmé, plaidant pour une refondation du modèle d’aide. Selon lui, il ne s’agit plus de multiplier les interventions extérieures, mais d’impliquer les États africains dans le co-financement et la gestion directe des programmes de reconstruction. L’enjeu, explique-t-il, est autant moral que stratégique : « L’Afrique doit participer à son propre effort humanitaire, non par devoir moral, mais parce que c’est une question de dignité et d’efficacité. »

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Faure Gnassingbé a invité ses pairs à passer d’une « économie de la compassion » à une « économie de la souveraineté ».

Refonder la gouvernance de l’aide humanitaire

La conférence a aussi mis en lumière un débat plus large : qui contrôle la gouvernance de l’aide ? Pour le médiateur togolais, la réponse ne peut venir que d’un retour à la centralité africaine. « La gouvernance de cette réponse humanitaire doit aussi être africaine. L’Afrique doit être au cœur de la planification et du suivi des réponses », a-t-il insisté.

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Cette exigence de souveraineté ne vise pas à rejeter l’appui extérieur, mais à redéfinir les rapports de force. L’aide, dit-il, doit soulager sans nourrir la dépendance, stabiliser sans figer les inégalités. Une perspective que partagent plusieurs délégations africaines, fatiguées des structures d’assistance dominées par les bailleurs du Nord.

Pour nombre d’observateurs présents à Paris, l’approche togolaise se distingue par sa volonté de politiser l’humanitaire : non pas dans le sens de manipulation, mais dans celui d’une réappropriation politique des outils de solidarité. L’aide ne doit plus être une économie parallèle contrôlée de l’extérieur, mais un instrument de cohésion et de puissance pour les États africains eux-mêmes.

Rompre avec l’économie de guerre

Le troisième axe de la réflexion du dirigeant togolais fut sans doute le plus incisif. Abordant la dimension économique des conflits, Faure Gnassingbé a dénoncé « la contrebande minière, le commerce illégal des ressources naturelles et les circuits informels d’exploitation » qui alimentent les milices et prolongent la souffrance des civils.

Dans un discours empreint de réalisme, il a déclaré : « Dans l’Est de la RDC, la souffrance ne vient pas seulement du conflit, mais de l’économie de guerre qui l’entretient. Nous devons rendre traçable chaque ressource, intégrer les communautés dans les chaînes légales et faire de la transformation locale une priorité de sécurité. »

Cette proposition va au-delà de la rhétorique : elle relie la justice économique à la paix durable, postulant qu’aucun cessez-le-feu ne peut tenir sans une réforme du modèle d’exploitation des ressources. La paix ne se décrète pas, elle se finance autrement.

Un tournant discret mais significatif pour les Grands Lacs

Emmanuel Macron, en réponse, a salué « la rigueur et la vision » du Président du Conseil togolais. Le chef de l’État français, qui cherche depuis plusieurs années à redéfinir les relations franco-africaines sur un mode plus égalitaire, a reconnu « l’importance d’un contrôle africain renforcé dans la gestion des crises ».

Parmi les annonces concrètes, la réouverture de l’aéroport de Goma aux vols humanitaires et la mobilisation d’un milliard et demi d’euros supplémentaires pour les opérations d’assistance immédiate ont été décidées. Mais, derrière les chiffres, un changement d’esprit s’esquisse : l’idée que la souveraineté africaine n’est plus un obstacle à la coopération internationale, mais sa condition de légitimité.

En conclusion, Faure Gnassingbé a replacé le débat sur le terrain de la morale politique : « La crise humanitaire dans les Grands Lacs est un test moral pour le monde et un test politique pour l’Afrique. Nous devons faire de la solidarité un levier d’autonomie et de l’aide un instrument de souveraineté. »

Cette phrase, prononcée dans le silence attentif de la salle, résume l’esprit de cette conférence : une solidarité exigeante, africaine et durable, qui relie la paix à la prospérité et la dignité à la responsabilité.

En filigrane, Paris 2025 aura peut-être inauguré une ère nouvelle où des solutions africaines cessent d’être un slogan pour devenir une diplomatie. Une diplomatie où le Togo, par sa constance et sa discrétion, semble s’imposer comme l’un des laboratoires les plus cohérents d’une pensée africaine de la paix.

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