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Togo : Depuis la prison, des jeunes détenus s’adressent à Faure Gnassingbé

Didier ASSOGBA
6 Min Read

Dans le silence épais de la prison civile de Lomé, une voix s’élève. Celle de René Koffi Missodé, au nom de 49 jeunes détenus depuis plusieurs mois, sans jugement. Une lettre adressée au Président du Conseil, Faure Gnassingbé, circule depuis quelques jours. Son ton est empreint de respect, mais aussi d’une détresse profonde : l’auteur y implore une liberté provisoire, ou à défaut, une grâce présidentielle, pour ces jeunes arrêtés entre juin et octobre 2025 à la suite des manifestations qui ont agité le pays.

« Je ne viens pas vers vous comme un simple détenu, mais comme la voix d’une jeunesse en détresse », écrit-il. La missive, longue et poignante, relayée par icilome, décrit la surpopulation carcérale — plus de 4 000 personnes entassées dans un espace prévu pour 600 à 1 000 — et la souffrance morale d’une jeunesse qui, selon lui, n’a commis d’autre faute que d’avoir voulu s’exprimer.

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Un appel à la clémence et au dialogue

Derrière ces lignes, se dessine le portrait collectif d’une génération à la fois instruite, connectée, critique, mais souvent désarmée face aux institutions. Ces jeunes — dont la plupart ont été arrêtés pour « troubles à l’ordre public » — incarnent le paradoxe d’un pays en quête de stabilité et d’ouverture démocratique, mais encore marqué par la peur de la contestation.

La lettre ne cherche pas la provocation. Elle se veut un appel à la conscience, à « un geste d’apaisement » susceptible de rouvrir le dialogue entre l’État et la jeunesse. « Accordez-nous cette liberté provisoire — ou une grâce présidentielle — afin de soulager les familles et redonner à la jeunesse togolaise la foi en un avenir de paix et de dignité », implore Missodé Koffi René.

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Ce ton conciliant tranche avec la rhétorique souvent accusatrice de l’opposition. Il traduit moins une revendication politique qu’un besoin de reconnaissance : celui de voir les jeunes considérés non comme une menace, mais comme un partenaire possible dans la construction nationale.

A la prison de Lomé, une jeunesse à la croisée des chemins

Depuis une décennie, le Togo s’efforce de conjuguer développement économique et stabilité politique. Les réformes institutionnelles de 2024, le passage au régime parlementaire, ou encore les efforts diplomatiques du Président du Conseil pour la paix dans la région des Grands Lacs, ont renforcé son image d’homme de dialogue sur la scène internationale.

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Mais sur le plan intérieur, les tensions demeurent palpables. La fracture entre les institutions et une partie de la jeunesse urbaine — souvent diplômée mais sans emploi stable — s’est accentuée. Les manifestations de 2025, nées d’un mélange de frustrations sociales et d’exigences démocratiques, ont trouvé écho dans plusieurs quartiers populaires de Lomé et de l’intérieur du pays.

Face à ces mobilisations, la réponse sécuritaire a été rapide. Des dizaines de jeunes ont été interpellés, certains selon leurs proches « sans mandat ni justification claire ». L’appareil judiciaire, saturé, peine à instruire les dossiers. Ainsi, des détentions prolongées sans jugement deviennent monnaie courante, alimentant un sentiment d’injustice et d’abandon.

Un geste politique attendu

La prison civile de Lomé, souvent décrite par les ONG comme « l’une des plus surpeuplées d’Afrique de l’Ouest », symbolise à elle seule les défis structurels du système pénitentiaire togolais. Dans un pays qui a pourtant engagé depuis 2018 un programme de modernisation de la justice, la lenteur des procédures et la précarité carcérale demeurent des angles morts. Les mots de Missodé, en décrivant la promiscuité, la faim, la maladie et la peur, deviennent alors un miroir : celui d’une jeunesse qui se sent exclue du pacte social, enfermée à la fois dans des cellules et dans une impasse existentielle.

L’appel à la clémence lancé au Président du Conseil résonne au-delà des murs de la prison. Il interroge le rapport entre pouvoir et citoyenneté, entre justice et réconciliation. Une éventuelle libération provisoire des détenus serait interprétée comme un signe d’ouverture, un message d’apaisement adressé à une jeunesse désabusée mais encore attachée à la nation. Ce serait aussi un acte politique fort, dans un contexte où le Togo cherche à consolider sa stabilité démocratique tout en répondant aux attentes sociales.

La demande de « liberté provisoire avant le 5 novembre 2025 » n’est pas formulée comme une menace, mais comme une offre de confiance. « Nous ne vous lançons aucun ultimatum », écrit encore le signataire. Cette phrase, à elle seule, résume la portée symbolique de la lettre : la non-violence comme ultime arme d’une jeunesse en quête d’écoute.

Pour le gouvernement togolais, qui prône depuis plusieurs années une politique d’« apaisement social » et de dialogue inclusif, cet appel représente un test moral et politique. Y répondre favorablement serait renouer avec la tradition de clémence présidentielle des années 2010, souvent utilisée comme levier de pacification. Mais ce serait surtout, au-delà du symbole, une occasion de restaurer la confiance entre institutions et société civile.

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