À Lomé, il est de ces visages que l’on reconnaît sans toujours les situer dans le tumulte partisan. Jean-Lucien Savi de Tové, né le 7 mai 1939, appartient à cette génération de hauts fonctionnaires africains pour qui la politique ne fut jamais un théâtre de conquête brutale du pouvoir, mais un espace de médiation entre l’histoire, les institutions et les hommes. Désormais premier Président de la République togolaise sous la nouvelle constitution, son nom résonne dans les grands moments de la trajectoire républicaine togolaise — souvent à la lisière des rapports de force, parfois à contrecourant des postures dominantes, toujours en quête d’équilibre.
Du savoir académique à l’éthique administrative
Celui qui a été élu le 03 mai 2025 par le Parlement togolais (Assemblée nationale et Sénat) réuni en congrès a été formé en sciences politiques à Paris I Panthéon-Sorbonne, où il s’est spécialisé en relations internationales et en administration publique.
Jean-Lucien Savi de Tové appartient à cette génération postcoloniale qui croyait encore à l’État comme outil de transformation sociale. Son retour au Togo dans les années 1970 le conduit dans les arcanes d’une administration publique encore marquée par l’héritage bureaucratique français mais déjà traversée par les tensions du pouvoir autoritaire du général Eyadéma. Savi de Tové y impose un style : rigueur, loyauté républicaine, culture du compromis.
Mais c’est en 1979, que son parcours bifurque violemment. Accusé de complot contre l’État, dans un climat de paranoïa sécuritaire, il est arrêté et condamné à dix ans de prison, aux côtés de figures de l’opposition telles que Gilchrist Olympio. Cette incarcération, loin de briser l’homme, l’inscrit dans une posture singulière : celle du résistant non violent, de l’opposant sans haine, du démocrate prisonnier de la verticalité d’un régime qui n’entend pas encore le langage des libertés.
L’ancrage dans la transition démocratique
Libéré au tournant des années 1990, alors que le vent de la Conférence nationale souveraine traverse l’Afrique francophone, Jean-Lucien Savi de Tové rejoint le cercle restreint des hommes appelés à baliser les voies d’un possible pluralisme togolais. Il devient ministre du Commerce, fonction qu’il exerce avec un sens aigu de la responsabilité publique, dans un pays qui vacille entre ouverture politique et crispations autoritaires.
À la Conférence nationale souveraine de 1991, il incarne une voix de modération, lucide sur les fragilités du système, mais fermement engagé en faveur d’une refondation républicaine. Ni tribun charismatique ni chef de parti batailleur, il se positionne comme un architecte discret de la démocratie naissante, soucieux de réconcilier légitimité populaire et efficacité institutionnelle.
Un républicain sans sectarisme
Co-fondateur, en 1999, de la Convention des Peuples pour le Progrès (CPP) aux côtés d’Edem Kodjo, il en devient le premier vice-président. À l’heure où l’opposition togolaise se divise entre radicalité et conciliation, il choisit une troisième voie : celle du dialogue structurel, de la réforme concertée. Ce positionnement lui vaut parfois les critiques des franges plus radicales de l’opposition, mais lui permet de participer aux espaces de négociation les plus sensibles du système politique togolais : CPDC, CPDC rénové, consultations sur les réformes institutionnelles.
À mesure que les années passent, il s’éloigne de l’arène partisane, sans jamais cesser d’être consulté. Sa mémoire des institutions, sa connaissance des dynamiques de pouvoir, son sens du compromis le maintiennent dans l’ombre portée des grandes décisions nationales, en tant que figure morale plus qu’acteur politique.
L’homme ne se limite pas aux sphères du politique. Longtemps secrétaire général du Comité National Olympique du Togo, il voit dans le sport un levier de diplomatie douce, un vecteur d’intégration sociale. À l’instar d’un Amadou-Mahtar M’Bow ou d’un Pascal Lissouba, il conçoit l’engagement civique comme un champ multiple, où se rencontrent culture, jeunesse et citoyenneté.
Jean-Lucien Savi de Tové : Une figure du juste milieu
À 86 ans, Jean-Lucien Savi de Tové reste un témoin essentiel de la traversée institutionnelle du Togo. Ni figure tutélaire, ni relique, il est l’un des derniers représentants de cette génération qui a fait le choix du droit contre la force, de la réforme contre la rupture, du service contre l’ambition.
Dans un pays où les institutions sont souvent mises à l’épreuve par les logiques de conservation du pouvoir, sa trajectoire rappelle une exigence rarement satisfaite : celle d’un État au service du commun, tenu par des hommes plus soucieux de sa légitimité que de leur autorité.
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