Au Togo, l’audit du Fonds de riposte et de solidarité Covid19 créé par le Chef de l’Etat cristallise les attentions. Le rapport publié la semaine dernière par la Cour des comptes relève des anomalies dans l’utilisation des ressources. L’audit indique par exemple que plus de 36 millions de francs CFA ont été utilisés pour l’achat du haricot et d’huile végétale sans documents comptables. Ce rapport fait réagir plusieurs acteurs.
Député à l’Assemblée nationale togolaise, Gerry Taama exige des sanctions fermes à la hauteur des écarts de conduite relevés. Le président du Nouvel engagement togolais (NET) a clairement indiqué que « l’argent public et l’argent des dons ont été gaspillés, mal gérés ou détournés ». Ayons le courage, dit-il, d’appeler les choses par leur nom.
«En 2021, j’ai réclamé les comptes sur la gestion du ‘Fonds Novissi’ par interpellation parlementaire. On m’a envoyé balader. La Cour des comptes a aussi subi le même sort. Et pendant ce temps, 779.500.000 fcfa n’ont pas été reversés dans les caisses de l’Etat. 779 millions, vous imaginez ce que cette somme peut faire sur le plan social ?», questionne l’ancien candidat à la Présidence togolaise.
Le chef de l’Etat interpellé
Gerry Taama s’en remet au Chef de l’Etat, Faure Gnassingbé à qui il réclame des sanctions et des réparations. En plus, l’opposant invite la justice togolaise à intervenir dans cette situation pour corriger l’image du pays auprès des partenaires internationaux.
Son collègue de l’Assemblée nationale, Fiacre Atsou est également remonté après lecture du rapport. Il estime que « les informations contenues dans ledit rapport sont d’une gravité extrême ». Le militant du parti BATIR soutient qu’on ne peut pas se permettre d’utiliser les fonds publics sans respecter les procédures de passation des marchés publics, sans présenter des pièces comptables, en ignorant la législation en vigueur, encore moins en refusant de donner les informations sollicitées par la cour des comptes.
« On donne des marchés à des sociétés qui n’ont même pas de carte d’opérateur économique, ni de quitus fiscal, on loue des maisons et auberges à la place des hôtels pour héberger les personnes atteintes de COVID19, on utilise les fonds COVID à d’autres fins qui n’ont aucun lien avec la COVID », a déploré l’ancien membre du mouvement NUBUEKE.
En plus, le député pointe des décaissements faits sur simple bon ou décharge de l’autorité, des règlements faits en espèces, des marchés donnés sans demandes de cotation et sans appel d’offre, entre autres.
De même, le député Abass Kaboua, président du Mouvement des Républicains Centristes (MRC) interpelle également le chef de l’Etat. Pour lui, ce dossier doit avancer et que les prévaricateurs soient livrés à la justice.
« A partir du moment où c’est la Cour des Comptes qui a fait sortir ce dossier, et qu’on colle le nom d’un membre du gouvernement comme celui qui a passé les commandes, je dois, en tant qu’élus du peuple, réagir. La Cour des comptes c’est une institution de la République togolaise. Le président doit permettre à ce que le dossier avance, et que nous soyons tous instruits », a indiqué le député Kaboua.
Dr Jean-Emmanuel Gnagnon s’offusque également après consultation du rapport. Le responsable du Mouvement Togo Restauration considère que «les détournements sont à une magnitude exponentielle ».
« Le gouvernement a trahi la confiance du chef de l’État ! Les liens sacrés du vivre-ensemble sont bafoués ! Quid Justice sociale ? », a déclaré le 2e adjoint au Maire de la Commune Lacs 3.
Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion de la Covid19
Requise par le gouvernement, la Cour des comptes a audité la gestion 2020 du Fonds de riposte et de solidarité Covid-19 (FRSC) créé par ordonnance n°2020-002 du 11 mai 2020 et doté d’un montant de 400 milliards mobilisable sur plusieurs années.
Dans un rapport de 86 pages, la Cour relève des anomalies dans la gestion de 180 milliards FCFA mobilisée pour l’année 2020.
Pour la Cour, il y a eu la non-conformité de la nomination et des modalités de fonctionnement de la gestion d’avance de la CNGR Covid19, des insuffisances dans l’application des textes relatifs et l’exécution de dépenses dans le non-respect des règles de procédure de contrôle et de justification en matière de la dépense publique.
De même, le rapport atteste que les opérations financières sont effectuées dans le non-respect des modes de paiement requis, des rémunérations sans aucune base juridique payées aux membres des comités et à certains personnels dits d’appui et la gestion du FRSC souffre d’une absence de coordination entre les actions des différents institutions, ministères, coordinations et comités.
Le rapport déplore en outre : «Des marchés non encore réceptionnés malgré l’expiration des délais d’exécution », « Marchés exécutés avec retard ou non exécutés à la date de clôture de l’audit », « Etablissement de procès-verbaux non conformes aux documents de la commande », « Le non reversement du reliquat des transferts dans les caisses de l’Etat », « Paiement des transferts monétaires aux personnes inéligibles au démarrage de l’opération », « Manque de suivi des opérations de transferts monétaires Novissi », « Non-respect de la procédure de reddition des comptes prévue par le décret N° N°2020-053/PR » et « Paiement de dépenses sans base juridique » entre autres.
Par ailleurs les chiffres disponibles parlent de plus de 9,2 milliards de francs CFA dépensés pour l’achat de 31.500 tonnes de riz, 9, 9 millions pour l’achat de gels et de masques pour les chauffeurs et plus de 36 millions pour l’achat du haricot et d’huile végétale. Les cas similaires sont légions.
Dans toutes ces opérations, une absence d’appel d’offre, de contrat et bon de commande. Seuls les factures et les ordres de paiements ont été présentés aux auditeurs.
Dans ses conclusions, la Cour des comptes affirme que les ressources mobilisées à travers le FRSC sont « utilisées conformément aux clauses des accords de dons et de prêts d’une part, et dans le respect des textes en vigueur et de ceux pris dans le contexte d’urgence sanitaire d’autre part. »
Mais l’opinion n’est visiblement pas convaincue et le débat sur le contenu du rapport va bon train.