Ancien ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques de Faure Gnassingbé, Kako Nubukpo est contre le remplacement de la Constitution de 1992 par l’Assemblée nationale. L’économiste parle d’une démarche inopportune et condamne une instrumentalisation de la loi fondamentale. Lecture !
Il est des moments dans la vie d’une nation où le contrat social, ferment du vivre ensemble, ne peut être déboulonné et réduit à la hussarde. Il est le socle du bien commun et de l’intérêt général. Il est le gage de la prospérité partagée et de la compréhension mutuelle. Il est le seul patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas. C’est pour cette raison que je suis contre la nouvelle loi de révision de la Constitution togolaise de 1992 qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale dans la nuit du 25 au 26 mars 2024.
Une Assemblée nationale dont le mandat est expiré
« Gouverner, c’est choisir. » Cette célèbre maxime de Pierre Mendès France semble particulièrement adaptée à la situation actuelle du Togo. Choisir entre la défense du bien commun et celle de l’intérêt général d’une part, et la promotion d’intérêts privés et la confiscation du bien commun d’autre part. Le débat qui se cristallise aujourd’hui autour de l’adoption de la loi présentée par les députés du parti présidentiel l’Union pour la République (Unir), portant révision de la Constitution et son vote à un pourcentage inouï – 98 % ! – nous en offre une spectaculaire illustration. Quels sont les points saillants de cette loi qui modifie significativement la Constitution togolaise pour la quatrième fois en vingt-deux ans et installe la désormais Ve République du Togo ?
Tout d’abord, la fin de l’élection du président de la République au suffrage universel direct. En lieu et place, ce dernier serait élu par les parlementaires réunis en congrès. Ensuite, la durée du mandat unique serait de six ans contre cinq à l’heure actuelle. Le vote au suffrage universel direct s’applique aux députés qui siègeront, comme les sénateurs, pour des mandats de six ans renouvelables.
Le contexte dans lequel cette loi a été présentée et votée soulève bien des questions. Une Assemblée nationale dont le mandat a pris officiellement fin le 31 décembre 2023 peut-elle décemment porter un changement de la loi fondamentale à quelques semaines de nouvelles élections législatives, prévues le 20 avril 2024 ? Pour rappel, l’article 144 de la Constitution togolaise dispose qu’« aucune procédure de révision ne peut-être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
Par ailleurs, Faure Essozimna Gnassingbé, l’actuel président, peut-il s’engager dans la voie de la promulgation d’une telle réforme d’ampleur pour le pays à moins d’un an de la prochaine élection présidentielle (février 2025) devant signifier pour lui, en cas d’élection, son dernier mandat de cinq ans ?
Instrumentalisation de la Constitution
Reconnaissons que le contexte d’initiation de la proposition de loi est inopportun, au-delà même du débat légitime qui peut s’instaurer dans une population, sur la voie idoine de désignation de ses représentants. Faire voter aujourd’hui une modification de la loi fondamentale par des députés dont le mandat est expiré, revient à assumer le choix de la promotion d’intérêts privés et de la confiscation du pouvoir au détriment du bien commun et de l’intérêt général.
Une modification de cette ampleur de la Constitution du 14 octobre 1992, fondatrice de la IVe République togolaise, nécessiterait, à tout le moins, un débat public en prenant le temps de faire la pédagogie de la réforme, en prenant soin de consulter toutes les couches de la population et, enfin, en ne s’interdisant pas la voie de la procédure référendaire. En donnant l’impression d’instrumentaliser la loi fondamentale qui est l’un des socles d’une société, à des fins d’appropriation privée du pouvoir politique, l’actuel chef d’État et l’actuelle Assemblée nationale dominée par l’Unir, prennent le risque de conduire le Togo dans une aventure dont l’issue pourrait être tragique.
Cette triple impasse, des points de vue du principe, du droit et de l’opportunité, pourrait ôter aux institutions exécutives et législatives la confiance indispensable au bon exercice de leurs missions respectives. Elle pourrait en outre conduire à la démonétisation de toutes les initiatives prises en ce moment par le régime en place en matière économique et sociale. Elle pourrait enfin fragiliser l’unité nationale au moment où elle s’avère indispensable pour lutter contre les attaques djihadistes récurrentes, dont est victime la partie septentrionale du pays.
Professeur Kako Nubukpo