Au Burkina Faso, la répression des voix dissidentes ne se limite plus aux salles d’interrogatoire ni aux suspensions administratives. Trois journalistes arrêtés la semaine dernière pour avoir dénoncé les atteintes croissantes à la liberté de la presse sont réapparus dans une vidéo où ils apparaissent enrôlés au front, en uniforme militaire, crâne rasé.
La séquence, largement diffusée depuis mercredi sur les réseaux sociaux par des comptes proches du pouvoir, montre Guézouma Sanogo, président de l’Association des journalistes du Burkina (AJB), son vice-président Boukari Ouoba, ainsi que Luc Pagbelguem, tous trois placés sous les ordres de l’armée, dans ce qui ressemble à une caserne en zone rurale.
Dans la vidéo, les journalistes, manifestement encadrés, se prêtent à une mise en scène où ils affirment désormais vouloir « couvrir la réalité » sur le terrain. « On est arrivé ici dans des circonstances particulières, mais nous apprécions cette occasion qu’on a de pouvoir rendre compte de la réalité », déclare Boukari Ouoba. À ses côtés, ses collègues acquiescent.
Décret de mobilisation générale au Burkina Faso
Cette situation est rendue possible par un décret de mobilisation générale adopté en 2023, qui autorise l’enrôlement de toute personne, y compris des civils et des professionnels des médias, au nom de la lutte contre les groupes jihadistes qui sévissent dans le pays.
Dans les faits, cette disposition semble de plus en plus utilisée comme un instrument de coercition contre les voix critiques. « Six journalistes ont été ainsi réquisitionnés dans l’armée en moins d’un an », dénonce Reporters sans Frontières (RSF), qui évoque un « enrôlement forcé inacceptable » et exige leur « libération immédiate ».
Quelques jours avant leur disparition, Sanogo et Ouoba avaient publiquement dénoncé, lors d’une conférence de presse, la multiplication des menaces, arrestations arbitraires et suspensions de médias.
« Les atteintes à la liberté d’expression et de presse ont atteint un niveau jamais égalé », affirmaient-ils.
Luc Pagbelguem, de son côté, avait été sanctionné par le Conseil supérieur de la communication après avoir réalisé un reportage sur ces déclarations. Il avait été suspendu deux semaines avant d’être à son tour arrêté le 26 mars.
Une dérive militaro-médiatique ?
Alors que le capitaine Ibrahim Traoré continue d’afficher une posture de fermeté dans la guerre contre le terrorisme, la militarisation croissante de l’espace civique inquiète. Pour les défenseurs des droits humains, le recours aux « réquisitions » ne saurait masquer une volonté plus large de contrôle de l’information et de neutralisation des contre-pouvoirs.
Dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu, où la presse joue un rôle crucial de relais d’information et de lien entre les populations et les autorités, la répression contre les journalistes risque de renforcer la défiance et d’appauvrir davantage le débat public.
Le Burkina Faso, autrefois salué pour la vitalité de sa société civile et de ses médias, glisse dangereusement vers un modèle de gouvernement fondé sur la peur, la propagande et la militarisation de l’espace public. Une dérive que plusieurs observateurs comparent déjà aux pires heures des régimes autoritaires du continent.
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