J’ai parcouru sans grande expertise la fameuse proposition de loi constitutionnelle des forces invisibles du parlement. Tellement le texte est « bien écrit » que je me demande à quoi servirait un débat en plénière sinon que de féliciter les émissaires de la République et les têtes pensantes dont regorge encore notre pays. Si par le passé on devrait user des deniers publics pour payer les services des charlatans du droit, point besoin de nous saigner encore, le Togo dispose de têtes bien faites pour charcuter la loi fondamentale et la remodeler au goût du Prince.
Si dans une tribune précédente nous avons déploré le manque de pédagogie autour de l’initiative, le sujet cristallisent les débats sur les plateformes de discussion et mérite qu’on y consacre quelques tournures. Les auteurs du texte qui manquent de visage, faute d’assumer publiquement leur œuvre ont choisi la voie des réseaux sociaux et certains de leurs congénères pour expliquer leur démarche.
Passer d’une République à une autre n’est pas le problème des Togolais, passer d’un régime présidentiel à un régime parlementaire n’est pas non plus un souci pour la bonne femme d’Agbadaxonu. Au Togo, les textes n’ont d’ailleurs jamais été un problème, c’est leur mise en œuvre qui crée problème. Quand le Pr. Kossivi Hounake veut faire croire que la politique s’incline devant le droit, il sera plus convaincant en nous expliquant les fondements juridiques du 5 février 2005.
Demander à des députés « buveurs de lait » d’avaliser un projet de loi hué ne dérange pas les tenants de l’ordre ancien. Une lecture politique des dernières nominations devrait indiquer aux uns et aux autres la direction du vent. Selon l’un des tenants de la proposition passé sur une radio de la place, l’enjeu derrière cette proposition est de démystifier la fonction de président de la République. A écouter ses propos, le congrès du parti UNIR en 2017 à Tsevie m’est revenu à l’esprit. Faure Gnassingbé est-il réellement l’homme avide de pouvoir qu’on tente de nous faire croire ? Monsieur le Président ne subit t-il pas trop au point de sacrifier sa dignité sur l’autel de la paix sociale au Togo ?
Le marigot politique au Togo, il faut s’y baigner pour connaître la hargne des crocodiles qui l’animent. Aussi bien les acteurs de l’opposition que de la mouvance, ils ne sont pas des enfants de chœur. Si l’opposition a réussi à anesthésier la conscience politique des citoyens togolais par leurs guerres de positionnement héritée de la conférence nationale, chez les bleus la discipline de façade n’empêche pas les coups bas. Jamais le repli communautaire n’a autant secoué les fondements de la République.
Face à ce dilemme il faut un homme fort, mais si ce dernier est en proie à l’usure de la fonction ? En 2005, suite au décès du père, le Prince se vendait aux peuples du 228 comme un pont entre le nord et le sud. Élu, il a perpétué la tradition de nommer son premier ministre, qui n’est en réalité qu’un « garçon de course », dans la partie méridionale. Il a multiplié à la tête de son cabinet des secrétaires généraux venus d’ailleurs que d’habitude, privant d’ailleurs les inconditionnels du régime du précieux sésame qu’est le poste de directeur de cabinet.
Les portefeuilles essentiels pour la gouvernance ont migré mais le recours à la « légion étrangère » a consacré les anges gardiens du système clanique qui veillent au grain. Directeurs de cabinet, secrétaires généraux ou directeurs des affaires financières dans les ministères et institutions de la République, le modèle HacAme continue de faire des émules au point de dissuader l’homme Faure de donner par décret onction à ces nominations qui méprisent les principes de la compétence et du mérite. Que d’intérimaires ! Signe des temps, le désamour est profond. Beaucoup d’eau à coulé sous le pont.
En 2015, la lassitude du pouvoir et l’isolement qu’impose la fonction ont-ils eu raison de l’homme Faure au point de penser à une abdication pour donner une chance à la démocratie ? Seuls les historiens du parti bleu ou le premier togolais dans ses mémoires nous édifieront, mais ceci étant, le Président togolais cumule bientôt 20 ans d’exercice. L’usure du métier peut donner le temps plus long et des envies d’autre chose, mais quand le syndicat refuse de vous lâcher… il faut trouver une formule.
La démystification de la fonction présidentielle peut prendre racine dans ces considérations peu orthodoxes du pouvoir d’État. Le principal accusé, fin calculateur et réputé discret n’a rien à perdre à se délester des attributs essentiels du pouvoir au profit d’un Président du conseil pour conserver le titre si cher aux « frères ».
Ailleurs, cette volonté de donner un coup de ciseaux dans les attributs du Chef de l’État au profit d’un(e) Président (e) du conseil peut répondre aux aspirations d’une certaine égérie qui croit dure comme fer que son heure est arrivée.
Le projet de constitution
La constitution d’un pays n’est pas un monument figé, elle subit l’influence de l’évolution sociétale. Que notre constitution soit initiée sur instruction pour dépouiller la fonction présidentielle de l’essence même du pouvoir au profit des autres afin de conserver le titre pour les « propriétaires », cette hypothèse semble moins emballer les analystes qui se perdent pourtant en conjecture.
Qu’à cela ne tienne, à nos érudits du sérail, il faut enseigner les vertus de la communication. Il faut savoir vendre les projets politiques pour épargner le coût des gaz lacrymogènes au pays. Faire passer une telle initiative par un parlement hémiplégique est déjà un coup dure à la quiétude sociale. A quoi bon quand on sait que des futurs occupants des 113 sièges du palais bleu, on comptera du bout des doigts les vrais opposants au régime. Rien ne presse !
Des dernières nouvelles, les opposants préférés du régime auront désormais leur ami parmi les sages. Le « boulanger » d’Adjengre a la main pour assurer le service après vente, n’en déplaise à ceux qui interrogent ses compétences juridiques, l’ancien locataire de l’avenue de la présidence a ses qualités, il peut encore être d’une grande d’utilité pour nous faire avaler la pilule. Fermer les bans, l’alternance ce n’est pas pour demain.
Dr. Alex K. EDOH