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Réseaux sociaux : Mawama menace, Wolou exige des comptes

Didier ASSOGBA
6 Min Read

À Lomé, la parole du procureur de la République, près le Tribunal de grande instance de Lomé, est de plus en plus scrutée et critiquée. Dans un climat politique tendu, les déclarations de Talaka Mawama, prononcées vendredi 3 octobre dernier au sujet des réseaux sociaux, ne cessent de susciter des réactions. Prof Komi Wolou, le président du Pacte socialiste pour le renouveau (PSR) accuse le responsable du parquet d’ignorer des crimes imprescriptibles et d’administrer la justice de manière sélective.

« Désormais, quiconque produira, reproduira, diffusera, publiera, partagera à travers une plateforme numérique un fait qui sort du cadre légal en vigueur, sera l’objet de poursuites pénales sans compromis et sans complaisance », avait martelé le procureur, visage grave, devant des professionnels de médias.

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Pour le pouvoir togolais, le message à passer était clair : assez de liberté sur les réseaux sociaux. Assez de vidéos critiques, de publications anonymes, de rumeurs politiques. Le pouvoir, par la voix de son représentant judiciaire, veut reprendre la main sur l’espace numérique — devenu, ces dernières années, le principal lieu de contestation dans un pays où les manifestations sont souvent dispersées, voire interdites et où les voix critiques sont de plus en plus muselées.

Mais cette mise en garde n’a pas été entendue comme un simple rappel à l’ordre. Pour Prof Komi Wolou, secrétaire national du Pacte Socialiste pour le Renouveau (PSR), elle sent le double langage. Et surtout, elle ignore une réalité bien plus sombre : celle des couloirs obscurs des commissariats et des geôles, où, selon plusieurs témoignages, la torture serait monnaie courante.

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« Qu’en a-t-il fait ? » : question de Komi Wolou au procureur

S’exprimant samedi dernier sur Victoire FM, une radio privée de Lomé, Prof Wolou a lancé un défi public au procureur : « Nous l’avons appris ici et il y a même des images qui ont circulé lors des manifestations. Des personnes qui ont été arrêtées auraient fait l’objet de tortures dans les commissariats et gendarmeries. Qu’il nous fasse aussi le point sur les poursuites parce que ce ne sont pas des tortures dans la rue. On connaît les lieux ainsi que ceux qui les dirigent. Qu’en a-t-il fait ? »

Une question directe, presque brutale. Car si le ministère public promet de sévir contre les « dérives » numériques, il reste muet sur les allégations de mauvais traitements systémiques dans les centres de détention. Or, ces accusations ne sont pas nouvelles. Depuis 2011, des rapport d’Amnesty International ou de l’Association des victimes de la torture du Togo (ASVITTO) documentaient des cas de traitements inhumains et dégradants. Des allégations de tortures revenues dans l’actualité avec l’arrestation et la détention de manifestants répondant au mois de juin dernier aux appels du Mouvement du 6 juin (M66).

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Des images sans filtre montrant des hématomes sur le corps de plusieurs manifestants ont circulé sur Facebook, WhatsApp ou encore TikTok. Le rappeur Aamron a également appuyé ces accusations de torture par ses propres photos diffusées sur ses comptes sociaux. Mais aucune enquête officielle n’a été diligentée. Aucun responsable n’a été sanctionné.

« Le procureur est peut-être dans son rôle en parlant avec rigueur. Je suis d’accord », nuance Komi Wolou. « Mais dès lors qu’on voit une inaction de l’autre côté, on dirait qu’il est un instrument d’oppression. Lorsqu’il se comporte comme ça, je crains fort qu’il ne soit jugé par l’histoire. »

Vigilance des internautes sur les réseaux sociaux

Dans les milieux de la société civile, cette dissymétrie est criante. D’un côté, une justice prompte à menacer les citoyens pour un commentaire ou un like ; de l’autre, un mutisme total face aux violations graves des droits humains.

Le PSR, comme d’autres formations de l’opposition, dénonce depuis des mois un État de droit en lambeaux. Selon eux, le discours du procureur ne vise pas à protéger la paix sociale, mais à criminaliser toute forme de critique. « Il faut distinguer entre la diffusion de fausses informations et la dénonciation de vérités inconfortables », insiste Wolou. « Espérons que lors des poursuites, le procureur démontrera que les auteurs savaient que ces contenus étaient vraiment illicites. »

Mais, ajoute-t-il, « malheureusement dans notre pays, cette rigueur juridique fait défaut ». Et c’est précisément ce manque de neutralité qui alimente la défiance.

Derrière les mots du procureur, c’est tout un système qui se met en place : surveillance accrue, traque numérique. Et pendant que les internautes effacent leurs historiques et cryptent leurs messages, les vraies questions restent sans réponse. Combien de victimes de torture seront jamais entendues ? Combien de responsables seront traduits en justice ? Et combien de procureurs choisiront de servir l’État plutôt que la justice ?

Prof Komi Wolou conclut sobrement : « Le jugement de l’histoire sera sévère. » Peut-être plus sévère encore que celui du tribunal.

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