Lundi 6 octobre 2025, Grace Bikoni Koumayi a franchi les portes du parquet de Lomé, les yeux marqués par trois jours de garde à vue. Arrêtée le 03 octobre à son domicile, la sage-femme et militante est désormais poursuivie pour « appel à la révolte » et « tentative d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État ». Un mandat de dépôt a été délivré à son encontre.
Son arrestation médiatisée par ses proches sur les réseaux sociaux, a immédiatement provoqué une onde de choc dans la société civile togolaise. Car Grace Bikoni Koumayi n’est pas une opposante anonyme. C’est une figure montante de la contestation sociale, dont la notoriété s’est construite non pas dans les salons politiques, mais sur les réseaux sociaux avec des vidéos tournées avec un téléphone portable.
Une voix en ligne, un danger pour le pouvoir ?
Depuis plusieurs mois, ses publications virales — courtes séquences filmées dans les ruelles de Pya, Hahotoë, Atakpamé ou Kpomé — dénoncent sans fard la misère quotidienne, les expropriations foncières liées à l’exploitation du phosphate, et l’enrichissement d’une élite au détriment des populations togolaises. Ce qu’elle montre, c’est une autre face du Togo : celle des familles chassées de leurs terres ancestrales mais qui ne sont toujours pas rentrées dans les promesses devant suivre les relogements.
Mais c’est aussi ce qu’elle dit — et où elle ose aller — qui n’est pas du goût des autorités. À plusieurs reprises, elle a pointé du doigt les contradictions dans la gouvernance du pays, allant jusqu’à évoquer la situation à Pya, localité d’origine du président du conseil, Faure Gnassingbé, comme symbole d’un développement inégal.
« Le phosphate enrichit l’État, mais appauvrit ceux qui vivent dessus », lançait-elle dans une vidéo partagée et likée des milliers de fois.
C’est précisément cette capacité à donner visibilité à l’invisible, à traduire la colère populaire en images directes, qui semble avoir franchi une ligne rouge aux yeux des autorités. Selon des sources proches du dossier, c’est la diffusion de ces contenus, qualifiés de « subversifs », qui aurait motivé son interpellation. On lui reproche d’avoir « incité à l’insurrection » — une accusation lourde, souvent utilisée dans les régimes sensibles aux remous sociaux.
2e arrestation de Grace Bikoni Koumayi
Le détail le plus glaçant ? Elle a été arrêtée devant ses deux enfants, qui rentraient de l’école. Ce moment, rapporté par des témoins et repris en boucle sur les réseaux sociaux, a alimenté une vague d’indignation.
Ce n’est pas la première fois que Grace Bikoni Koumayi croise le fer avec les forces de l’ordre. En juin 2025, elle avait été interpellée lors de la grande manifestation du Mouvement du 6 juin (M66), un collectif citoyen à l’initiative des derniers mouvements de contestation ayant fait des morts, des blessés et des arrestations. Détenu pendant plusieurs jours, elle avait alors dénoncé des conditions de détention « inhumaines et dégradantes ».
Depuis, elle est devenue une icône improbable : mi-sage-femme, mi-militante, incarnant la convergence entre lutte sociale et résistance politique.
Surveillance accrue, espace civique en recul
Son cas illustre un phénomène de plus en plus préoccupant au Togo : l’intensification de la surveillance des réseaux sociaux par les services de sécurité. Ces dernières années, plusieurs blogueurs, journalistes et militants ont été convoqués, menacés ou arrêtés pour des publications jugées « provocatrices ». Des organisations de la société civile locales, comme le Front Citoyen Togo Debout, la Ligue des Droits de l’Homme ou encore des regroupements politiques dont la Dynamique pour la majorité du peuple (DMP), le front Touche pas à Ma Constitution alertent sur un rétrécissement progressif de l’espace démocratique.
« Le gouvernement tolère de moins en moins toute forme de critique, surtout quand elle prend racine dans le vécu des gens », analyse un responsable de la société civile qui ajoute : « Grace Bikoni Koumayi ne parle pas au nom d’un parti. Elle parle au nom de la rue. Et c’est cela qui fait peur. »
L’affaire Grace Bikoni Koumayi intervient dans la foule d’une mise en garde du procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Lomé, Talaka Mawana au sujet des activités sur les réseaux sociaux. « Avant, on protestait dans la rue. Maintenant, on filme. Mais ils veulent même nous empêcher de filmer », murmure un groupe d’étudiants sortant d’une Université privée à Lomé.
Depuis son lieu de détention, Grace Bikoni Koumayi attend son procès. Silencieuse pour l’instant, elle reste, par son absence même, plus présente que jamais dans l’espace numérique.
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