Depuis le début de 2021, plusieurs faits de suicide ont été enregistrés à travers le Togo. Selon un récent rapport publié par la branche togolaise du réseau Ouest Africain pour l’Edification de la Paix/West Africa Network for Peacebuilding (WANEP-Togo), au moins huit (8) cas de suicides ont été enregistrés au Togo et une bonne douzaine d’homicides aussi depuis le début de cette année 2021. La situation devient inquiétante et interpelle plus d’un.
C’est un constat qui saute aux yeux. Le phénomène de suicide connait une recrudescence au Togo ces temps-ci. Selon les derniers chiffres communiqués par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le taux de suicide dans le pays est de 16%. De son côté, le mécanisme d’alerte précoce de WANEP-Togo révèle que de janvier jusqu’à mai 2021, huit (8) personnes se sont données la mort.
La situation est suffisamment grave et même extrême pour alerter et en même temps indiquer que quelque chose de sérieux ne va pas au Togo.
Ce qui pousse les togolais à se donner la mort
Généralement, les raisons qui amènent les Togolais à s’ôter la vie sont selon beaucoup de leaders d’opinion, la misère et les soucis. Certains tentent même d’expliquer la montée du phénomène par l’activité du Trading qui a fait l’actualité au Togo ces derniers jours.
« Je connais une femme qui a investi 20 millions de francs CFA dans cette activité. Depuis que le gouvernement a ordonné aux structures de cesser de fonctionner elle ne fait que se lamenter tout le temps. La dernière fois, elle est allée payer une quantité énorme de médicaments pour prendre. Heureusement qu’elle a été surprise par son mari qui est revenu du boulot sinon elle allait mourir d’overdose », a témoigné le journaliste togolais, Amen Anika, au cours d’une causerie entre confrères.
Déjà le 07 avril dernier, nos confrères de Togoweb, informaient qu’un jeune tradeur s’est suicidé à cause d’une dette de 277 millions de francs CFA.
Pour Luc Abaki, journaliste chroniqueur, la précarité gravit les échelons et la vie humaine elle-même a du mal à prendre un sens dans le quotidien des individus. Les citoyens, en bon nombre, se demandent à quoi ils servent vraiment dans cette vie dès lors qu’ils ne trouvent aucun repère, aucune raison de se maintenir en vie et ne subissent que ses affres plutôt que de la vivre elle-même.
Aussi, note-t-on qu’il y a un nouveau mode de vie qui caractérise la société togolaise d’aujourd’hui. L’individualisme a littéralement conquis le terrain en lieu et place de la solidarité, de la complémentarité, de l’amour d’autrui, du partage aussi bien de biens que de connaissances. Ce manque crucial de solidarité, d’empathie, de partage, d’amour entre les citoyens qui s’est enraciné au sein de la société d’aujourd’hui est un phonème très grave qui laisse les individus à eux seuls, sans soutien, sans compassion au point où l’on n’est plus en mesure, lorsqu’il souffre d’un problème particulier, de se confier à son prochain ne serait-ce que pour se soulager moralement.
« Avant quand vous partagez une même cour, une voisine qui va au marché n’a pas besoin de s’inquiéter de ce que son enfant va manger. Car elle sait que quelqu’un de la maison va lui offrir à manger. Mais aujourd’hui on ne peut plus offrir à manger à l’enfant d’autrui. Si un voisin donne à manger à l’enfant de son voisin et si par hasard l’enfant vomit la nuit, il est traité de sorcier. L’histoire de la sorcellerie fait aussi que les gens se méfient et chacun se retrouve dans son coin avec ses problèmes et c’est comme cela que la porte est ouverte au suicide », a étayé Dr Rissikatou Salifou-Ouro Sama.
La psychologue clinicienne au CMS Saint Jean de Dieu d’Agoè rappelle que le suicide provient aussi de la détresse et de la maladie mentale en l’occurrence la dépression et la schizophrénie. Mais au Togo ces cas sont rares.
Aucun homme n’a le droit de mettre fin à sa vie
Face à ce tableau, il est clair que l’heure parait suffisamment grave et sonner l’alerte semble être un acte minimal. Quelque chose de significatif et de déterminant doit être fait dans ce sens en urgence !
La vie humaine est ce qu’il y’a de plus sacré, en tout cas si l’on doit s’en tenir à l’éducation aussi bien scolaire que familiale ou même sociétale qui nous est prodiguée dans nos communautés. Ceci signifie clairement que dans notre existence, nous pouvons oser tout sauf se faire même l’idée d’enlever délibérément la vie à autrui et encore moins à soi-même au risque de ne jamais « connaître le ciel », comme l’on le dit généralement dans ma communauté.
Par ailleurs, il nous souvient qu’il y’a plus d’une dizaine d’années, le Togo avait initié une journée de solidarité nationale. Quelle était la vision qui était en arrière-plan d’une telle initiative pour qu’elle s’estompe juste après deux éditions seulement ?
« La solidarité africaine doit revenir dans nos habitudes. Il faut que nous soyons disponibles les uns pour les uns », a recommandé Dr Saliou Salifou, consultant et psychiatre à l’hôpital psychiatrique de Zébé, au cours d’un atelier de formation des journalistes sur la santé mentale.
Pour sa part, Mme Salifou-Ouro Sama est convaincue que le phénomène de suicide peut être réduit au Togo si les agents de santé communautaire deviennent attentifs à leur entourage et parviennent à détecter les signaux dans le langage.
« Quelqu’un qui veut se suicider ne le fait pas d’un coup de tête. Il envoie toujours des signaux. Voilà pourquoi il est important d’apprendre aux agents de santé communautaire à détecter des signes dans le langage », a-t-elle ajouté.
La psychologue recommande également qu’on oriente les personnes ou familles en difficulté vers les centres d’écoute et de prise en charge pour un accompagnement approprié.
De son côté, WANEP-Togo exhorte le gouvernement à mener des recherches et enquêtes pour déterminer les causes de ces homicides et suicides, et mettre en place un système d’assistance psycho-sociale pour la prise en charge des familles et des personnes affectées par ces deux phénomènes.
De même, l’organisation demande aux autorités nationales d’organiser des programmes de sensibilisation sur la lutte contre le phénomène d’homicide et de suicide en collaboration avec les élus locaux ; renforcer les centres d’écoute et les maisons de justice et en créer d’autres et assurer le contrôle de moralité dans les éléments diffusés sur les médias.
L’entrepreneuriat
Sur la question de pauvreté dont l’origine serait pour la plupart des jeunes le chômage et le sous-emploi, beaucoup d’acteurs de développement pensent qu’il faut un changement de mentalité et de paradigme. Mieux, amener les jeunes à se prendre en charge.
« Sur un continent où tout est à construire, les jeunes sont mal formés à se prendre en charge et formatés pour tout attendre de l’État providence. Il faut passer seulement quelques jours aux Etats-Unis pour comprendre le contraste. Ce pays n’est pas la première puissance économique du monde grâce à ses fonctionnaires. Là-bas, la fonction publique est la sphère la moins convoitée et le travail acharné à toute heure du jour et de la nuit est la valeur la mieux partagée », a réagi Anicet Oke au posting de Luc Abaki qui relançait le débat sur le suicide.
Cet internaute estime que la politique sociale est à revoir pour que le citoyen ne considère plus que le Président est élu pour lui assurer le pain quotidien et le beurre pendant qu’il se prélasse.
L’internaute martèle qu’il y a lieu de revoir le système scolaire et éducatif. Chercher de bons raccourcis qui permettent de corriger les carences que présentent les étudiants après leur formation. Pour lui, tout est possible si l’on tient vraiment à donner aux citoyens, les moyens de se prendre en charge. Dans le cas contraire, tout va naturellement reposer sur l’État qui ne pourrait que suffoquer.