À 10 mois de l’élection présidentielle, le Cameroun est le théâtre d’une confrontation inédite entre le gouvernement et l’Église catholique. L’éventuelle candidature de Paul Biya, 92 ans, à un nouveau mandat en octobre 2025 attise les tensions, déclenchant une vague de critiques acerbes de la part des évêques. Face à cette fronde cléricale, le gouvernement sort de son silence et tente de calmer le jeu, sans pour autant désamorcer la crise.
Le gouvernement camerounais répond aux évêques
Dans un communiqué publié le 7 janvier 2025, René Emmanuel Sadi, porte-parole du gouvernement, a dénoncé la « véhémence » des propos tenus par certaines autorités religieuses, tout en rappelant que leurs déclarations « n’engagent qu’elles-mêmes ». Affirmant que le Cameroun est un État laïc, le gouvernement a insisté sur la cohabitation pacifique entre les pouvoirs publics et les institutions religieuses.
Pourtant, cette mise en garde intervient alors que les critiques de l’Église catholique se multiplient. L’institution, forte de son influence auprès des fidèles, s’impose comme une voix de contestation dans un pays marqué par un pouvoir central omniprésent et une opposition politique affaiblie.
Une fronde sans précédent
La contestation a pris une ampleur inédite début janvier. Le 1er janvier, Mgr Barthelemy Yaouda, évêque de Yagoua, a lancé un pavé dans la mare en déclarant : « On ne va pas souffrir plus que ça encore. Même le diable, qu’il prenne d’abord le pouvoir, et on verra après ! » Sur la chaîne privée Équinoxe TV, il a poursuivi en interpellant les partisans du président : « Vous pourriez donner la houe ou la machette à votre grand-père de 92 ans pour qu’il aille à pied travailler au champ ? »
D’autres figures ecclésiastiques ont emboîté le pas. À Douala, Mgr Samuel Kleda, archevêque de la ville, a qualifié une nouvelle candidature de Paul Biya de « pas réaliste ». À Ngaoundéré, Mgr Emmanuel Abbo a dénoncé les souffrances quotidiennes des Camerounais et les abus d’un système politique figé. Et dans un ton plus léger mais non moins incisif, le Père Albert Legrand a comparé la situation à un match de football : « Kylian Mbappé, quand il est fatigué, on le remplace, non ? »
Ces propos ont trouvé un écho particulier lors de la 48e Conférence épiscopale nationale du Cameroun, actuellement en cours à Buea. Les évêques y dressent un bilan accablant du système politique actuel, dénonçant son incapacité à offrir un avenir à la jeunesse et à répondre aux attentes des citoyens.
Un gouvernement divisé face à la crise
Face à cette fronde, les divisions apparaissent au sein du gouvernement camerounais. Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, et Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, prônent une réponse ferme, allant jusqu’à envisager des poursuites judiciaires contre les prélats les plus virulents. D’autres, à l’instar de Grégoire Owona, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, appellent à l’apaisement pour éviter une escalade.
L’histoire récente de l’Église catholique camerounaise jette une ombre inquiétante sur la situation. Les assassinats de figures cléricales telles que Joseph Mbassi (1988), Engelbert Mveng (1995) ou Apollinaire Clément Fopa (2015) rappellent les risques encourus par ceux qui osent s’opposer frontalement au pouvoir.
Une Église en position d’influence ?
La question demeure : l’Église catholique camerounaise peut-elle peser sur l’avenir politique du pays, comme son homologue en République démocratique du Congo lors des récentes élections ? Avec une opposition politique morcelée et un climat de répression, elle apparaît comme l’une des rares institutions capables de canaliser les frustrations populaires.
Le gouvernement, quant à lui, reste sur sa ligne : Paul Biya annoncera sa décision « en temps opportun ». En attendant, il invite les aspirants à la présidence à se préparer pour une élection qu’il promet « sereine, transparente et pacifique ».
À dix mois du scrutin, le Cameroun s’enfonce dans une polarisation croissante, où religion et politique s’affrontent dans une lutte pour l’avenir du pays. Si l’Église persiste dans sa fronde, elle pourrait devenir un acteur clé dans une élection qui s’annonce déjà comme l’une des plus tendues de l’histoire récente du pays.
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