Après près de quatre ans de retrait médiatique, l’ancien président guinéen Alpha Condé a fait une réapparition fracassante sur la scène politique. Dans un message diffusé le 17 septembre 2025, l’ex-chef de l’État, âgé de 86 ans, a lancé une violente diatribe contre le référendum constitutionnel prévu le 21 septembre prochain. Pour lui, cette consultation est « mascarade organisée par un régime illégal et illégitime ».
Destitué lors du putsch mené par le Général Mamady Doumbouya le 5 septembre 2021, Alpha Condé, longtemps figure centrale de la vie politique guinéenne, revient sur le devant de la scène à un moment crucial du processus de transition. Son intervention, soigneusement calibrée et empreinte d’un ton solennel, marque une rupture avec le mutisme qu’il observait depuis plusieurs mois, malgré les rumeurs persistantes sur son état de santé fragile.
« Une confiscation de la souveraineté populaire »
Dans son allocution, Alpha Condé n’a pas mâché ses mots : « Ce scrutin n’est ni libre, ni transparent, ni inclusif. Il est orchestré par des militaires qui ont renversé l’ordre constitutionnel et qui prétendent aujourd’hui nous imposer une nouvelle charte fondamentale sans légitimité démocratique », a-t-il dénoncé. Il a appelé les Guinéens à boycotter massivement le vote, affirmant que participer à ce référendum reviendrait à « cautionner un coup d’État institutionnalisé ».
L’ancien président accuse le régime militaire d’avoir non seulement plongé le pays dans une crise économique profonde – « inflation galopante, chômage massif, effondrement des services publics » – mais aussi de « détruire le tissu social » à travers des arrestations arbitraires, la répression des manifestations et le règlement de comptes au sein même des forces armées.
Il a notamment évoqué les circonstances troubles de son renversement, affirmant que des soldats restés fidèles à la Constitution auraient été « exécutés sommairement » par les éléments du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD). Des allégations jamais vérifiées indépendamment, mais qui risquent de raviver les tensions entre partisans et opposants du régime militaire.
Retour stratégique avant le référendum constitutionnel
Le timing de cette sortie n’est pas anodin. À quatre jours du référendum constitutionnel présenté par le pouvoir de Doumbouya comme une étape décisive vers un retour à l’ordre civil, l’appel d’Alpha Condé pourrait peser sur la mobilisation électorale. Bien que marginalisé depuis son départ forcé du palais de Sékhoutouréya, l’ancien chef de l’État conserve une base de soutien notable, notamment à Labé, dans la région de Boké et dans certaines franges urbaines de Conakry.
Son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), affaibli mais encore actif, a déjà fait savoir qu’il rejette le processus de transition en cours. Plusieurs autres formations d’opposition, dont l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et le Parti démocratique de Guinée-RDA (PDG-RDA), ont également annoncé leur refus de participer au scrutin, dénonçant un calendrier « précipité » et un cadre électoral « biaisé ».
La Commission électorale nationale indépendante (CENI), supervisée par la junte, affirme avoir inscrit plus de 5,4 millions d’électeurs. Mais selon des sources proches de l’opposition, ces chiffres sont sujets à caution, et la crédibilité du processus reste entachée par l’absence d’un consensus politique large.
Une transition sous haute tension
Mamady Doumbouya, désormais promu général après trois années à la tête du pays, a toujours défendu le référendum comme un pilier du « nouvel ordre institutionnel ». La nouvelle constitution proposée prévoit notamment un retour à un système présidentiel fort, tout en introduisant des mécanismes de contrôle limités. Mais elle ne précise pas si Doumbouya pourra se présenter à l’élection présidentielle censée suivre – une question cruciale qui alimente toutes les spéculations.
À Conakry, où les discussions vont bon train dans les marchés et cafés, l’appel de l’ancien président divise. Pour certains, il arrive trop tard. D’autres, en revanche, saluent son courage. « Enfin quelqu’un dit ce que tout le monde pense », confie un fonctionnaire sous couvert d’anonymat.
Alors que la Guinée s’approche d’un scrutin aux enjeux majeurs, le discours d’Alpha Condé relance le débat sur la légitimité du processus de transition. S’il ne remet pas en cause directement la souveraineté du peuple, il soulève des questions fondamentales sur les conditions dans lesquelles celle-ci peut s’exprimer.
Dans les jours qui viennent, tous les regards seront tournés vers les urnes – ou leur absence. Car si le taux de participation s’effondre, le régime militaire pourrait se retrouver confronté à une crise de légitimité encore plus profonde. Et Alpha Condé, même hors du pouvoir, aura réussi à rappeler qu’en politique, même les fantômes peuvent faire trembler les vivants.
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