Au Togo, la plupart des citoyens n’ont pas de pièces d’identité. De la naissance au passeport, c’est seulement une infime partie de la population qui en possède. Et depuis quelques jours, les services en charge de la délivrance du certificat de nationalité, de la carte d’identité et du passeport sont bien sollicités. Alors qu’on croyait que l’imposition du permis de conduire en est la cause, la réalité est toute autre. Des milliers de jeunes togolais cherchent leurs passeports pour quitter le pays. Depuis, c’est de l’indignation au niveau de l’opinion. Et la question qui se pose est comment les retenir ?
« Quelle est la procédure pour avoir un passeport », « S’il vous plait ! Quelles sont les pièces pour le dossier du passeport ? », « Où se trouve le service de passeport à Lomé ? », « >Si j’ai le nouveau certificat de nationalité, comment je constitue mon dossier pour le passeport ? » ou encore « Combien de jours il faut pour avoir le passeport après le dépôt ? ». Voilà un échantillon de questions qui ont circulé sur différentes plateformes de discussions WhatsApp et Facebook ces derniers jours au Togo.
Si de bonnes volontés ont vite fait de répondre à ces questions pour aider de « jeunes frères » en quête d’une pièce d’identité. Elles n’ont jamais imaginé que ces derniers préparent ainsi leur départ pour « l’Eldorado ».
Même dans un rêve, il est impossible d’imaginer que le service de passeport sera un jour plein à craquer. La plupart des togolais se contentent de faire leurs démarches à l’intérieur du pays avec leurs cartes nationales d’identité. Le passeport n’est qu’un document de voyage et seuls ceux qui ont des projets de voyage en font souvent la demande.
Mais ce qui est impossible, même dans un rêve, il y a encore quelques semaines, est devenu une réalité depuis des jours.
Un passeport pour l’Eldorado
Le service des passeports à Lomé connaît une affluence record. Des milliers de jeunes désireux de se faire établir un passeport s’alignent aux abords dudit service.
« J’ai besoin du passeport pour une urgence », lance Abdoul qui met en cause la lenteur du service. « S’ils ont besoin de gens, ils n’ont pas procéder à des recrutements, il y a trop de chômage dans ce pays », commente son compagnon Gafarou, visiblement lassé d’attendre depuis plusieurs heures sans avoir l’espoir de déposer son dossier avant de partir.
D’autres encore sont très déterminés. Ils n’ont désormais de pensée que pour le passeport. D’abord le dépôt est crucial et après, le retrait est beaucoup plus simple.
« S’il faut même dormir ici pour faire le dépôt, nous sommes prêts… Nous avons besoins du passeport pour voyager », nous confie un jeune qui a accepté de parler.
Et quand on demande à plusieurs de la foule amassée au niveau du service des passeports la raison qui les a poussé à chercher subitement ce titre de voyage, certains se donnent se donnent dans la langue de bois, préférant répondre mollement : « Nous avons un voyage en vue ».
Mais dans le lot, certains jeunes, frustrés, affirment clairement avoir besoin du passeport pour jouer à la Loterie visa, dans l’espoir de partir aux Etats-Unis, une fois retenus.
« C’est la condition cette année et nous n’avons pas le choix. C’est pour cela que nous sommes ici pour faire le dépôt. Dans deux semaines, si on arrive à avoir le passeport, on peut faire les inscriptions en ligne… », lâche Gagnon, venu de Tsévié pour la circonstance.
En effet, l’affluence au niveau du service des passeports coïncide avec le lancement en ce début octobre des inscriptions au DV Lottery par l’administration américaine. Selon les nouvelles conditions en vigueur, il faut impérativement posséder un passeport en cours de validité pour participer à la loterie.
Mais cette affluence soudaine cause des soucis à plusieurs autres citoyens qui n’ont pas envie de jouer à la Loterie Visa mais qui cherchent le passeport ou qui sont là pour le renouveler.
« Moi je suis là pour le renouvellement de mon passeport. Mais avec ce qui se passe actuellement, je pense vraiment je suis dans des problèmes… », nous a soufflé sur place un commerçant togolais qui a un voyage en vue.
Démarrées le 2 octobre, les inscriptions pour la DV Lottery 2021 prendront fin le 5 novembre 2019. Il reste alors encore peu de temps pour les personnes désireuses de rejoindre le pays de l’oncle Sam. Et l’engouement au niveau du service des passeports ne cessera pas de sitôt.
A la Direction générale de la documentation nationale (DGDN), on fait l’essentiel pour servir tout le monde. D’autres guichets sont créés pour la circonstance. Mais insuffisant pour décongestionner le lieu. Il y a toujours foule jusqu’à sur la bretelle qui mène vers Klikamé.
« La plus belle fille ne peut donner que ce qu’elle a. Nous essayons de servir tout le monde selon les normes. On ne pourra pas faire autrement même si notre désir de délivrer le document à tous les citoyens togolais qui en font la demande », a commenté un haut placé de la DGDN.
De l’indignation de plusieurs citoyens togolais
Cette envie des jeunes qui cherchent à quitter le pays est au centre d’intenses discussions sur les plateformes WhatsApp et Facebook. Certains citoyens même n’hésitent pas à faire part de leur indignation devant une telle situation.
D’aucuns s’interrogent sur les motivations qui pourraient amener des milliers de jeunes, des bras valides du pays, véritable capital humain d’une nation à chercher tenter leur chance pour obtenir le « Green Card » pour l’Eldorado.
« Mon pays le Togo va vraiment mal. Tout le monde veut quitter. Juste pour Loterie visa USA de cette année où le passeport est obligatoire, voici la queue pour faire passeport… », a posté un internaute.
D’autres intervenant dans les différents débats n’hésitent pas indexer les autorités togolaises. Elles sont d’ailleurs invitées à agir.
« Autorités du Togo voyez cette photo. C’est la queue que nos citoyens font ces jours-ci pour avoir le PASSEPORT, le graal cette année pour pouvoir jouer au jeu Loterie Visa DV2021. Réagissons vite. Vivre au Togo pour le Bâtir devient chaque jour un chimère », a posé Legrand Enos Tchalla sur Facebook.
Mais un jeune du parti au pouvoir contacté par Togobreakingnews.info relativise. Pour lui, les Etats-Unis ne vont pas délivrer le visa à tout ce beau monde. Après tout, dit-il, cela reste une loterie, donc un jeu de chance.
« La majorité n’auront aucune suite et ils seront obligés de revenir à la réalité et travailler pour le développement de la patrie », commente notre interlocuteur.
Comment retenir ces jeunes ?
Depuis le début de l’année, le gouvernement togolais met en œuvre un nouveau programme de développement dénommé Plan national de Développement (PND). Lancé le 4 mars, le programme devrait permettre de créer d’ici à 2022 plus de 500 000 emplois.
« Notre jeunesse avec son dynamisme, ses attentes et ses rêves constitue à cet égard, l’incitation majeure qui nous pousse à faire plus et mieux pour maintenir l’espoir et travailler sans relâche à des lendemains meilleurs », avait déclaré Faure Gnassingbé, le président togolais le 4 mars 2019 à Lomé lors du lancement du PND.
« la jeunesse togolaise est brave, engagée et désireuse de s’épanouir en participant à la construction nationale. Elle ne demande pas l’aumône, mais de l’éducation, de la formation et un contexte socioéconomique motivant. Le modèle vers lequel nous tendons avec le PND est justement celui-là… », avait ajouté par ailleurs le Chef de l’Etat togolais.
Depuis, les actes en vers les jeunes sont très attendus de la part des pouvoirs publics. En dehors de quelques séances d’information à l’intention de 1500 jeunes portant sur les différents programmes et projets structurants, et les opportunités d’emploi offertes par le PND, à l’initiative du ministère en charge de la Jeunesse, la majorité des jeunes togolais attendent toujours.
Au niveau du gouvernement, on explique que des efforts sont faits en direction de la jeunesse. On cite notamment la mesure d’octroi de 25% des marchés publics à cette couche de la population.
« Des mécanismes sont en place pour l’insertion professionnelle des jeunes. Le FNFI avec l’AJSEF, le FAIEJ, … apportent de l’assistance aux jeunes. L’Etat joue son rôle, même si nous sommes conscients que beaucoup reste encore à faire », commente un responsable du ministère en charge de l’emploi des jeunes.
Mais des observateurs estiment que les actions des gouvernants peinent à impacter et à mettre en confiance une jeunesse désespérée. Pour un expert en développement contacté, il est temps de sortir des théories politiques pour offrir des opportunités concrètes aux jeunes.
« Le 09 octobre dernier, lors de la 3eme édition du sommet Youth Connekt Africa, Paul Kagamé le président du Rwanda disait ceci : Les talents existent partout. Mais ce n’est pas le cas pour les opportunités. C’est le rôle des gouvernants de fournir ces opportunités. En retour les jeunes ont le devoir et la responsabilité d’exploiter ces opportunités. Chez nous au Togo et dans la plupart des pays subsahariens les gouvernants ne créent pas de manière concrète et durable les opportunités aux jeunes d’exceller, de montrer leur talent, leur savoir-faire de manière libre et entière », déplore Loïc Lawson.
Pour le journaliste et Directeur de publication de Flambeau des Démocrates, les autorités doivent offrir des opportunités aux jeunes pour qu’ils n’aient pas envie de tenter les aventures en quittant le pays.