Par une stratégie d’obstruction judiciaire et de harcèlement administratif, les autorités d’Abidjan semblent déterminées à neutraliser Tidjane Thiam, ancien banquier international, devenu figure de proue de l’opposition. Ce, alors que l’élection présidentielle ivoirienne prévue en octobre 2025 s’annonce déterminante pour l’avenir du pays, après trois (3) mandants d’Alassane Ouattara.
Derrière les murs lisses des palais abidjanais, une bataille politique d’un autre genre se joue : celle de la légitimité, des papiers, et des identités. Tidjane Thiam, ancien patron de Crédit Suisse et nouvel homme fort du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), fait aujourd’hui l’objet d’un feu nourri d’actions concertées visant à l’empêcher de briguer la magistrature suprême lors du scrutin présidentiel d’octobre 2025.
Le 11 avril, un premier front a momentanément cédé. La juge des référés s’est déclarée incompétente dans l’affaire portée par une dissidente du PDCI, Valérie Yapo, qui contestait l’élection de M. Thiam à la tête du parti, et exigeait sa destitution. Un soulagement temporaire pour celui que les cercles du pouvoir perçoivent de plus en plus comme une menace sérieuse à la succession du président Alassane Ouattara.
Mais ce revers judiciaire ne masque pas la réalité d’une offensive institutionnelle méthodique, dans laquelle se croisent contestations de nationalité, invocations de vices de forme, et relents de « l’ivoirité », doctrine identitaire héritée des années 1990.
Un certificat de nationalité, nouvelle arme politique
Le 10 avril, la justice ivoirienne décidait de geler la délivrance du certificat de nationalité demandé par Tidjane Thiam, au motif qu’une procédure visant à faire constater la perte de sa nationalité ivoirienne était en cours. Le motif juridique est limpide : la justice ne peut statuer sur une demande tant qu’un doute subsiste sur l’objet même de la requête. Mais ce sursis administratif soulève des interrogations sur le rôle actif du pouvoir dans la manipulation du droit pour exclure un adversaire.
En invoquant un vice de procédure – la requête aurait été adressée à une autorité incompétente – les autorités judiciaires brandissent une logique formaliste au service d’un agenda politique. Selon des observateurs locaux, cette décision pourrait retarder de plusieurs mois l’émission du certificat, document indispensable pour valider toute candidature à la présidentielle.
Le piège identitaire se referme
Au cœur de cette manœuvre, un réflexe ancien refait surface : le spectre de l’ivoirité. Codifiée à la fin des années 1990, cette notion stipule que tout candidat à la présidence doit être né de père et de mère ivoiriens. Bien que non explicitement mentionnée dans la Constitution actuelle, cette exigence continue de hanter les débats politiques, au risque d’alimenter une rhétorique d’exclusion à géométrie variable.
Tidjane Thiam est pourtant né à Abidjan en 1962, de père sénégalais naturalisé ivoirien, ancien ministre sous Houphouët-Boigny, et de mère issue du cercle familial du « père de la Nation ». Diplômé des plus grandes écoles françaises, ex-haut fonctionnaire à Paris et ancien dirigeant de multinationales, Thiam incarne une élite mondialisée, détachée des réseaux traditionnels du pouvoir ivoirien.
Mais c’est précisément cette trajectoire, à la fois internationale et indépendante, qui semble déranger. Ni formé au sein du sérail houphouétiste classique, ni allié du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) au pouvoir, Thiam est un corps étranger dans un système verrouillé, que la coalition au pouvoir redoute de voir émerger.
Les logiques d’exclusion comme mode de gouvernance
En s’attaquant à la nationalité du principal leader d’opposition, le régime d’Abidjan renoue avec une stratégie bien rodée : instrumentaliser le droit pour disqualifier politiquement. Cette méthode a déjà servi par le passé contre d’autres figures contestataires, comme Laurent Gbagbo ou Guillaume Soro, empêchés de se présenter au scrutin de 2020 pour des raisons judiciaires ou administratives.
Le cas Thiam révèle une crise profonde du pluralisme politique ivoirien, où les enjeux de pouvoir se traduisent dans les prétoires plus que dans les urnes. En fermant progressivement les canaux de la compétition loyale, le pouvoir réduit le champ démocratique à une arène où le droit devient un outil de domination, plus qu’un garant des libertés politiques.
Tidjane Thiam : Une course semée d’embûches
À l’heure où le PDCI s’apprête à confirmer la candidature de Tidjane Thiam lors d’une convention interne, prévue dans les prochains jours, le combat judiciaire est loin d’être terminé. Les prochaines semaines seront décisives : ou bien la justice tranchera en faveur de la délivrance du certificat de nationalité, permettant à Thiam de se présenter ; ou bien l’affaire s’enlisera, et avec elle, une part essentielle du débat démocratique ivoirien.
Ce qui se joue à Abidjan dépasse donc la seule trajectoire d’un ancien banquier devenu homme politique. Il s’agit d’une bataille pour la réappropriation du droit comme outil d’équité républicaine, dans un pays où les procédures sont trop souvent détournées pour servir des intérêts partisans.
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