A la suite d’un coup de filet à l’aube contre le leader de l’opposition Succès Masra, le parti Les Transformateurs dénonce une « séquestration » en dehors de toute procédure légale. Le gouvernement, lui, accuse l’opposant d’incitation à la haine et de complicité dans des violences meurtrières survenues en mars.
Le climat politique s’est brutalement tendu vendredi 16 mai à N’Djaména. À l’aube, des éléments armés ont procédé à l’interpellation musclée de Succès Masra, figure charismatique de l’opposition tchadienne et président du parti Les Transformateurs. L’opération s’est déroulée à son domicile, dans la capitale, sans qu’aucune notification officielle ne lui soit remise, selon son entourage.
Quelques heures plus tard, au siège du parti, les cadres des Transformateurs ont élevé la voix. « Il ne s’agit pas d’une arrestation, mais bien d’une séquestration politique », a déclaré Dr Togyeum Nagorngar, secrétaire général du mouvement. Pour lui, cette action, menée sans mandat apparent, en dehors de toute procédure régulière, constitue une « violation grave de la Constitution et des droits civiques ».
Des accusations explosives contre Succès Masra
Du côté des autorités, la riposte judiciaire n’a pas tardé. Dans un communiqué relayé par la télévision nationale, le procureur de la République de N’Djaména, Oumar Mahamat Kédélay, a confirmé l’interpellation de Succès Masra dans le cadre d’une enquête ouverte après les violences survenues le 14 mars à Mandakao, localité située à une vingtaine de kilomètres de Béïnamar, dans le sud-ouest du pays.
Le parquet accuse l’opposant d’avoir alimenté, via des messages diffusés sur les réseaux sociaux, « des appels à la révolte armée contre une communauté locale », des propos qui, selon les autorités, ont conduit à des violences intercommunautaires faisant 42 morts, principalement des femmes et des enfants. Les faits retenus contre lui sont lourds : incitation à la haine, constitution de bandes armées, complicité d’assassinat, incendie volontaire et profanation de sépultures.
« Il s’agit d’une procédure judiciaire ordinaire, qui doit suivre son cours. Personne n’est au-dessus des lois », a martelé le procureur, assurant que Succès Masra est actuellement gardé dans les locaux de la police judiciaire et qu’il bénéficie des droits liés à sa détention.
Une opposition vent debout
Mais pour Les Transformateurs, cette arrestation est avant tout une tentative d’« étouffer une voix libre » dans un contexte de verrouillage politique. « C’est une manière déguisée de mettre hors-jeu l’un des rares leaders crédibles capables de porter une alternative démocratique », estime Sitack Yombatina Beni, deuxième vice-président du parti.
La formation politique appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de son leader et à une mobilisation pacifique des citoyens « contre l’autoritarisme rampant du régime en place ».
Depuis les élections présidentielles de 2024, dont les résultats sont toujours contestés par une partie de l’opposition, le Tchad vit au rythme de tensions récurrentes entre les partisans du régime et ceux qui exigent une transition démocratique réelle.
L’arrestation de Succès Masra risque de marquer un tournant dans ce bras de fer. Porte-étendard d’une nouvelle génération politique, l’économiste de formation, ancien cadre de la Banque africaine de développement, s’était imposé comme l’un des adversaires les plus redoutés du pouvoir militaire issu de la transition dirigée par le général Mahamat Idriss Déby Itno.
En mars, il s’était publiquement désolidarisé de toute action violente et avait renouvelé son appel à un dialogue national inclusif, dénonçant la stigmatisation de l’opposition. Aujourd’hui, son interpellation jette une ombre sur les engagements pris par le pouvoir tchadien en matière d’ouverture démocratique.
Cette arrestation pourrait exacerber les tensions et renforcer la défiance populaire, alors que le pays tente de stabiliser son processus politique dans un contexte régional marqué par l’instabilité et les recompositions post-putsch dans le Sahel.
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