Au Ghana, malgré une attention croissante, les personnes victimes d’accusations de sorcellerie, en majorité des femmes âgées, vivent toujours dans des conditions précaires, privées de droits fondamentaux. Un rapport accablant d’Amnesty International documente les négligences de l’État ghanéen face à cette crise humanitaire discrète mais persistante dans le nord du Ghana.
Accusées de sorcellerie, battues, chassées de leurs villages, souvent par des membres de leur propre famille, elles survivent depuis des années dans des camps informels au nord du Ghana, loin des regards et des structures de l’État. Elles sont plus de 500, selon le dernier rapport publié par Amnesty International, à vivre dans l’ombre d’un passé de violences encore très présent.
Des camps de relégation silencieuse
Intitulé « Marquées à vie », le document, fruit de plus d’un an de recherches, révèle une réalité glaçante : ces accusations de sorcellerie, souvent déclenchées par des maladies, des décès, ou même des rêves, continuent de plonger des femmes dans une précarité extrême. Le tout, dans un silence quasi-total des autorités ghanéennes.
À Gnani, Kukuo ou Gambaga, les camps qui accueillent ces femmes ont parfois plus d’un siècle d’existence. Si certains sont perçus comme des refuges, ils ne sont en réalité que des lieux de survie. « J’ai ma propre chambre ici, mais il faut refaire le toit. L’eau traverse quand il pleut », raconte Alimata*, une résidente. À 80 ans, une autre avoue ne devoir sa survie qu’à la générosité des autres : « Je récoltais des noix de karité. Maintenant, si personne ne me nourrit, je ne peux pas manger. »
L’accès à l’eau potable, aux soins ou à une alimentation décente y est limité, sinon inexistant. Aucun programme gouvernemental n’existe pour soutenir ces femmes qui ont tout perdu, sauf la peur d’être à nouveau persécutées.
Accusations de sorcellerie et violences ordinaires
Le rapport d’Amnesty documente également les mécanismes sociaux qui permettent ces violences. Les femmes âgées, pauvres, malades, veuves ou simplement indépendantes sont les cibles les plus fréquentes. L’un des témoignages les plus marquants vient de Fatma*, qui a refusé que sa fille épouse un chef local : quelques jours plus tard, elle était accusée d’avoir provoqué la maladie d’un enfant.
« Ils s’arrangent toujours pour porter des accusations contre vous, surtout si vous travaillez dur, si vous restez forte et si vous vous débrouillez bien en tant que femme », affirme une autre survivante du camp de Kukuo.
Le Ghana ne dispose d’aucune législation spécifique criminalisant les accusations de sorcellerie. En l’absence de cadre juridique clair, les auteurs de ces violences bénéficient souvent d’une totale impunité. « Les autorités doivent adopter une législation qui criminalise spécifiquement les accusations de sorcellerie et les attaques rituelles », plaide Genevieve Partington, directrice nationale d’Amnesty Ghana.
Depuis le lynchage brutal d’une femme de 90 ans en 2020, des voix se sont élevées pour dénoncer ces pratiques. Une proposition de loi visant à interdire formellement ces accusations a été brièvement introduite au Parlement… avant de disparaître.
Mais en février 2025, un sursaut semble poindre. À la suite de discussions entre Amnesty et les autorités, le projet de loi a été réintroduit. Une avancée certes modeste, mais qui laisse entrevoir un possible tournant.
Une approche globale, urgente et attendue
Pour Amnesty, la réponse ne peut être uniquement juridique. Il faut une politique publique forte, dotée de moyens, qui articule prévention, réparation et réintégration. Cela passe par une campagne nationale de sensibilisation, des mécanismes de soutien aux victimes et surtout une transformation des imaginaires sociaux où la figure de la « vieille sorcière » demeure profondément ancrée.
« Les survivantes ne demandent pas la charité. Elles réclament justice, dignité et sécurité », résume Michèle Eken, chercheuse senior à Amnesty International. Dans un pays longtemps présenté comme un exemple de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest, le traitement réservé à ces femmes constitue une tache persistante, que seule une volonté politique réelle pourra effacer.
Les prénoms marqués d’un astérisque ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.
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