La répétition de l’histoire, malheureusement devient toujours dramatique lorsque l’on ne la connaît pas suffisamment. Aujourd’hui, nul besoin de la propagande russe, chinoise ou des pays arabes pour comprendre que la France et ses alliés sont au bord de la perte de leur hégémonie en Afrique. L’ingérence dans les affaires politiques et économiques des pays africains au sud du Sahara alimente les tensions croissantes entre le bloc occidental et une partie du reste du monde.
Le cas des pays du Sahel où la France peine à se libérer complètement, confirme son attachement durable envers une Afrique dans un monde souvent hostile aux plus faibles. L’Afrique est au centre de toutes les convoitises et chacun aspire à y grimper. Aujourd’hui, que peuvent espérer les pays africains face à de telles anomalies qui minent leurs sociétés ? Faut-il éliminer le médecin pour éradiquer la peste en Afrique ? Entre les intérêts de certains et les besoins des autres, la question fondamentale demeure : à qui appartiennent réellement les ressources souterraines des pays africains au sud du Sahara ? Peut-on mesurer l’impact des actions de la France dans cette région face aux enjeux contemporains ?
1- La coalition des pays du Sahel : un engagement contre un ennemi commun
Dénoncer une politique étrangère comme celle française en Afrique ne fait pas des auteurs des anti-français sinon la liste serait longue. L’exploitation continue des ressources des pays d’Afrique subsaharienne est désormais largement entre les mains d’intermédiaires, principalement des firmes multinationales étrangères et parfois des sociétés écrans. Sur le plan économique, le bilan de la colonisation n’a pas non plus été favorable à l’Afrique. La mainmise sur les ressources africaines crée un climat d’insécurité et de convoitise dans le Sahel entraînant des tensions.
Comment expliquer autrement que la France pays de camembert et de vin soit la troisième réserve d’or mondiale sans avoir de mines sur son territoire, alors que le Mali, riche en or et en uranium, ou encore le Congo, riche en diamants, et le Nigeria, en pétrole, ne bénéficient pas d’une richesse comparable ?
Certains pensent aujourd’hui que les coups d’État militaires au sahel dans cette région de l’Afrique pourraient favoriser le développement économique des pays du Sahel. Il est indéniable que Paris ne s’est pas fait en un jour. Comme le dit l’adage africain : « Il vaut mieux se débarrasser du fardeau qui pèse sur vous pour aller chercher de l’aide sinon vous risquez de perdre votre vie ». On ne peut empêcher les dirigeants africains de nouer des relations avec des pays comme la Russie ou la Chine, perçus comme des opposants au progrès par les Occidentaux.
Les pays africains surtout ceux du Sahel ont vite compris qu’aucun développement n’est possible avec la présence française, ni même celle de leurs homologues américains dans cette région. Face au retrait de l’armée française au Niger, les États-Unis ont cru pouvoir séduire les pays du Sahel. Cette relation entre le Niger, la France et les Américains est un exemple marquant de la mauvaise foi de certains occidentaux. Lors de la rencontre avec le Premier ministre nigérien et le gouvernement américain représenté par Mary Catherine, cette dernière a accusé le Niger sans preuve d’avoir conclu un accord secret avec l’Iran pour vendre de l’uranium destiné à son programme nucléaire.
L’histoire similaire de l’Irak, qui a conduit à sa destruction reste dans les mémoires. Un homme sage disait justement un jour « quand tu vois un problème en Afrique, la France n’est pas loin ». Le coup d’État du 26 juillet dernier au Niger a renversé l’ancien président Mohamed Bazoum, illustrant l’instabilité des leviers politiques et économiques dans cette région d’Afrique.
Ce coup d’État pacifique a permis à la CNSP, dirigée par le général Tiani, de prendre le pouvoir. Il faut reconnaître que l’une des raisons pour lesquelles l’ex-président Bazoum ne bénéficiait pas d’une adhésion populaire réside dans sa proximité avec la France ; aujourd’hui, soutenir les intérêts français en Afrique est considéré comme un acte de non patriote face aux défis de l’Afrique.
Certains estiment qu’un coup d’État sans effusion de sang est préférable à un coup d’État constitutionnel accompagné de milliers de morts, comme celui impliquant les présidents Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire et l’ex-président Macky Sall du Sénégal, perçus comme les instigateurs d’une intervention militaire au Niger sans oublier le droit de véto du Benin à travers son président de la République. L’histoire retiendra les noms de ces présidents ayant approuvé une telle intervention.
La France n’a pas à choisir un gouvernement en Afrique ; elle doit simplement respecter la volonté des peuples désireux de son départ. Si aujourd’hui Dangote, le plus riche d’Afrique a les mains liées face à son industrie de raffinerie pétrolière qui devrait permettre une autosuffisance pétrolière de toute l’Afrique, il faut que les Africains reconnaissent qu’ils font face à une organisation très puissante, bien organisée, prête à tout.
Il est crucial de noter que la France utilise également des techniques d’espionnage parfois en impliquant des femmes, pour ses intérêts en Afrique. Bien que vieille comme le monde, cette pratique reste efficace en raison de la faiblesse morale de nombreux dirigeants au pouvoir. Les pays francophones toujours sous l’emprise de la colonisation et de leur ancien maître, peinent à redéfinir leur modèle économique et politique. Aujourd’hui, la démocratie progresse dans certains pays africains, parfois aux dépens des intérêts français comme récemment au Sénégal avec l’élection présidentielle remportée par l’opposition portant Bassirou Diomaye Faye à la présidence depuis le 2 avril 2024.
L’ancien président Macky Sall, défenseur des intérêts français au Sénégal au détriment de ceux de ses concitoyens a finalement rendu célèbre Ousmane Sonko. Quelle que soit la décision de Macky Sall, il n’a pas su gérer la montée en puissance de Sonko en adoptant une posture trop personnelle dans la politique oubliant qu’en tant que président, il représente toute une nation y compris ses opposants sénégalais. Le cas d’Haïti est une illustration du fait que des élections répétées ne garantissent pas la reconstruction et la démocratie d’un pays. En effet, bien que le premier État noir indépendant depuis 1804, Haïti a organisé de nombreuses élections sans parvenir à stabiliser la situation politique et économique du pays.
Le dernier en date du 07 juillet 2021 de l’assassinat du président de la République par un groupe armée à son domicile. Cet assassinat montre que les États noirs doivent définir une nouvelle forme de politique propre à leur réalité car aujourd’hui, la Chine ni même les pays du Golfe n’ont pas besoin du modèle démocratique à l’occidental pour leur développement. La démocratie à un moment signifie alternance et pluralité des idées pour le bien du continent. Il est crucial de se demander si les intellectuels alignés sur les intérêts occidentaux en Afrique auraient dû être éduqués ?
Le dernier sommet de la CEDEAO en juillet n’était pas non plus rassurant quant à un avenir meilleur dans la sous-région, ce qui prouve que l’organisation est vraiment en crise.
2 – L’avenir de la francophonie en Afrique : une relation complexe entre la France et les Pays de l’AES[1]
L’Afrique francophone est à un tournant de son cycle. Nous entrons dans une nouvelle ère où d’autres acteurs comme la Chine, la Russie, et les puissances islamiques ainsi que d’autres partenaires fiables en Afrique jouent un rôle croissant. L’avenir de la démocratie en Afrique se joue actuellement au Sahel. Les pays de l’alliance des États du sahel (AES) pourraient saisir cette opportunité pour établir leur propre monnaie, leur propre armée et leur propre conseil d’État afin de se libérer du contrôle occidental dont la CEDEAO n’est qu’un instrument.
Aujourd’hui, l’Afrique n’est plus destinée à être perpétuellement assistée ni à devenir un terrain de jeu pour les ONG humanitaires occidentales cherchant à expier leurs fautes. Si les pays africains doivent se soumettre à une puissance étrangère, que ce soit au plus offrant. Les trois pays de l’AES ont acté la naissance de la confédération le samedi 6 juillet dernier dans la capitale du Niger au cours de laquelle le général Tiani, le colonel Goïta et le capitaine Traoré se sont engagés à affirmer leur détermination contre un ennemi commun et à renforcer leur coopération dans plusieurs domaines.
Sur le plan diplomatique, le sommet a souligné la nécessité de parler d’une seule voix. Ce sommet fait suite à la signature, en septembre 2023, de la charte d’entraide militaire entre les pays du Sahel face aux menaces de la CEDEAO et des pays occidentaux pour leurs intérêts dans la sous-région. Lors du sommet financier mondial à Paris du 22 au 23 juin 2023, le président français Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne visait pas à changer le système mais à le faire fonctionner.
Cette manière de penser reflète une perspective propre à certaines élites occidentales qui peinent à se départir des vestiges coloniaux. Comme le disait Thomas Sankara, l’impérialisme est un mauvais élève renvoyé de la classe qui revient encore et encore sans jamais tirer les leçons de son échec.
Le récent coup d’État au Sahel, survenu au Niger après celui du Mali et du Burkina Faso, démontre l’inefficacité totale de la diplomatie française en Afrique. Une stratégie réaliste et sérieuse doit être développée par les Africains avec les Africains pour les Africains en vue d’un développement industriel basé sur la transformation locale de leurs immenses ressources. Qu’il s’agisse de la gauche ou de la droite au pouvoir en France, chaque président de l’Élysée défendra les intérêts français coûte que coûte. Le passage récent de Jean-Luc Mélenchon au Sénégal pour féliciter le nouveau gouvernement n’a rien d’extraordinaire ; il ferait pire s’il était porté à la tête de la République française.
Aujourd’hui, les peuples africains ont décidé d’établir de nouvelles relations qui changeront la donne. Ce changement fondamental a été conquis grâce aux luttes et sacrifices des Africains eux-mêmes. Rien ne peut maintenant freiner la montée du nationalisme tant qu’un mètre carré du sol africain reste sous domination étrangère. Pour la France, la véritable approche consisterait à étudier les cultures africaines, à recruter des enseignants coopérants africains en France et à envoyer des étudiants français en Afrique. Une connaissance mutuelle approfondie est essentielle pour un partenariat durable. Les pays de l’AES sont comme des agriculteurs semant des graines avec patience et détermination ; ils récolteront ensemble avec toute l’Afrique.
Conclusion
L’Afrique aspire à progresser et l’ère des dictateurs proches de la France est révolue. Aujourd’hui, il est impensable de discuter du développement en Afrique sans impliquer véritablement les Africains dans le débat, car ils ont souvent l’impression que l’histoire se fait sans eux. L’Afrique a déjà perdu trop de temps et l’avenir de ce continent repose sur la volonté collective. Même si les équilibres mondiaux changent, l’hégémonie ne disparaîtra pas mais changera simplement de mains car tout se résume au pouvoir et à la domination.
Malheureusement, pour maintenir la paix dans le monde, nous sommes condamnés à un équilibre de la terreur. C’est une opportunité pour l’Afrique de profiter de cette guerre froide entre les grandes puissances pour devenir elle-même une force militaire et se libérer de la domination étrangère. Tant que le monde restera sous la menace d’un déséquilibre nucléaire, la paix demeurera hors de portée.
L’Afrique doit reprendre en main son propre récit et dépasser les simples discours. La déception de la France perdurera aussi longtemps qu’elle refusera de voir la vérité éclatante qui se présente : celle d’une Afrique nouvelle, dirigée par une jeunesse engagée, déterminée, informée et consciente des défis actuels. Les pays du Sahel n’ont pas acheté des armes pour les exposer dans un musée. Ils les ont obtenues dans l’attente de les utiliser contre toutes les forces hostiles pour défendre leur population.
Komi ABALO, Docteur en histoire des relations internationales des politiques africaines entre l’université de Lorraine en France et l’université de Montréal
[1] L’alliance des États du sahel est un pacte de défense conclu entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso le 16 septembre 2023. L’accord est signé à la suite du coup d’État du 26 juillet 2023 au Niger contre lequel la CEDEAO menace d’intervenir militairement avec le quitus de certains chefs d’État de la sous-région. Au nom de cette alliance, les pays membres sont sortis de la CEDEAO pour éviter des diktats de la CEDEAO reçus des pays occidentaux.