La liberté de la presse est un pilier majeur de la démocratie et toute société démocratique qui emprisonne ses journalistes dans le cadre de l’exercice de leur métier s’expose à être déclassée.
Ignace Sossou, journaliste et directeur de production de Bénin Web TV, purge actuellement une peine de 18 mois de prison ferme après sa condamnation, le 24 décembre 2019, pour « harcèlement par le biais de moyens de communication électronique » sur la base d’une loi béninoise portant code du numérique. Le journaliste avait précisément relayé sur les réseaux sociaux certains propos du procureur de la République près le tribunal de première instance de Cotonou qui s’était exprimé, le 18 décembre 2019, lors d’un atelier organisé par l’agence française de développement médias (CFI).
Tout le monde a aujourd’hui la preuve sonore et écrite que les propos tenus n’ont pas été tronqués par le journaliste embastillé. Comment peut-on envoyer un journaliste en prison pour trois tweets ne présentant, qui plus est, « aucun caractère diffamatoire » comme l’a finalement reconnu CFI et comme chacun a pu le constater ? Dans un pays où l’avènement d’un code du numérique en 2018 est porteur d’angoisse pour la presse et les acteurs de la toile, les propos tenus par le procureur étaient de l’information. En les relayant, Ignace Sossou a tout simplement fait son métier.
Jamais un journaliste ayant relayé sur les réseaux sociaux des propos qui ont bien été tenus en public ne s’était retrouvé derrière les barreaux dans l’espace CEDEAO. Comme l’a souligné Reporters sans frontières (RSF), ce « précédent est extrêmement dangereux ». Et la détention de notre confrère Ignace Sossou choque bien au-delà des frontières du Bénin. Partout dans le monde, y compris dans nos pays d’Afrique de l’Ouest, fleurissent des textes de loi qui, au nom de la lutte contre la désinformation, les discours de haine, la cybercriminalité ou encore le terrorisme, peuvent être utilisés pour restreindre la liberté d’expression et jeter des journalistes en prison. Ignace Sossou n’avait commis aucune faute comme journaliste. Ces trois tweets ont été considérés comme du cyberharcèlement. Ce reporter a subi la rigueur d’une loi, le code du numérique, qui n’est pas le texte officiel qui régit l’activité des médias.
Cette condamnation n’honore ni le Bénin, l’une des démocraties les plus stables du continent africain ayant courageusement instauré la dépénalisation des délits de presse, ni le régime en place qui a pourtant été fer de lance dans la dépénalisation des délits de presse et qui a soutenu l’initiative pour l’Information et la Démocratie, lancée par RSF en novembre 2018, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies.
Plus de deux mois après son arrestation et alors que les preuves de son innocence sont sur la place publique, chaque jour passé par Ignace Sossou en prison est un tort causé à la réputation démocratique du Bénin et au bilan du président Patrice Talon dont nous partageons la ferme volonté de lutter contre la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux. C’est une situation qui interpelle tous les Etats du monde. Notre conviction est que ce défi peut être relevé sans restreindre la liberté de la presse.
Il est du devoir du président Patrice Talon d’honorer l’engagement pris, en 2015, par le législateur béninois de dépénaliser les délits de presse. Il s’en montrera digne en usant de tous les pouvoirs dont dispose le président de la République pour libérer le journaliste dont l’emprisonnement est l’une des pires erreurs judiciaires et politiques des années du renouveau démocratique au Bénin et un recul important dans le combat mené par les journalistes de l’ensemble de la région, de Dakar à Cotonou, afin que les journalistes ne fassent plus l’objet de peines privatives de liberté pour de simples délits de presse, lorsque ceux-ci sont constitués.
SIGNATAIRES
Assane DIAGNE et Fiacre VIDJINGNINOU
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