La justice togolaise parviendra-t-elle un jour à devenir juste sur toute l’étendue du territoire national ? Cette question brûle toutes les lèvres et les togolais se la posent régulièrement, au vu d’un certain nombre de choses qui ont encore cours au niveau de certaines juridictions, malgré les efforts déployés dans le cadre de la modernisation de la justice et les différentes initiatives du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Actuellement à Kara, une affaire opposant la Société technologique de distribution (STD) à la Société commerciale polyvalente (SCP) défraie la chronique. Censée suivre une procédure purement civile, l’affaire est transposée au pénal par les autorités du tribunal de Kara. Et depuis le 16 novembre, le responsable de la SCP Sarl-U est jeté en prison, sans aucune forme de procès.
Malgré la volonté des autorités judiciaires de tourner la page de l’ancienne justice, qui est celle des forts et des riches, pour parvenir à une justice moderne, accessible à tous les citoyens togolais, les attitudes de certains magistrats, visiblement victimes des trafics d’influence continue de jeter du discrédit sur la nouvelle marque qu’imprime le Conseil supérieur de la magistrature à la justice togolaise.
De la lune de miel aux malentendus entre la STD et la SCP Sarl-U
En effet, depuis le début de ce mois, nous avons été saisis d’un dossier pour le moins simple mais que certaines pratiques continuent de compliquer de jour en jour au niveau du Tribunal de Kara. Le dossier est celui qui oppose la STD à la SCP Sarl-U, des sociétés partenaires d’affaires depuis 2016. Les deux entreprises, pour le compte de la campagne agricole 2017-2018 ont signé un contrat. Le document, rédigé par l’avocat du responsable de la SCP, indique que la STD dirigée par Jacqueline Amivi AKA s’engage à vendre à crédit à la SCP SARL-U de l’engrais pour une quantité maximale de 1000 tonnes selon les besoins sur le terrain. La marchandise devrait être revendue dans trois préfectures que sont la Binah, la Keran et Assoli.
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En ce qui concerne les litiges, on lit plus tard dans le contrat notamment en son article 7 :
« les parties s’engagent à exécuter leurs obligations de bonne foi. Tout litige qui naîtra de l’exécution du présent contrat sera réglé devant le Tribunal de Première Instance de l’une des trois préfectures couvertes par le présent contrat ».
Et au début, l’affaire marchait. Une importante quantité de marchandises a été livrée à la SCP qui a remboursé la somme au fur et à mesure des ventes. Selon des informations communiquées par la famille de Daoudou MATCHI, le responsable de la SCP, les malentendus ont commencé alors qu’une bonne partie de l’argent dû est déjà payée.
Selon nos informations, les deux parties ont l’habitude de travailler ensemble depuis 3 saisons agricoles. Et pour cette période, elles ont également travaillé toute la période du contrat sans souci et sans qu’il n’y ait une dette. Mais les choses vont vite tourner quand, à la suite du premier retard de paiement, la responsable de la STD a saisi le tribunal de première instance d’Assoli.
Une affaire civile transformée de toutes pièces en un dossier pénal
Conformément aux termes de l’article 7 du contrat, la responsable de la STD a saisi au prime abord le tribunal d’Assoli. Après avoir pris connaissance du dossier, le Président du Tribunal d’Assoli a expliqué par deux fois qu’il n’était pas possible d’arrêter Daoudou MATCHI, le responsable de la SCP, dans une affaire civile. Il a demandé aux deux parties de saisir un huissier pour règlement de l’affaire.
Mais contre toute attente, la responsable de la STD va déposer une plainte au niveau du tribunal de Kara en septembre. Sur ordre du procureur de la république de Kara, M. Matchi se fera arrêté. Mais le magistrat se rendra compte, avoir écouté le mis en cause, que l’affaire est civile et va donc le libérer.
Par deux fois, M. Matchi a proposé à sa partenaire d’affaire, la responsable de la STD de lui verser mensuellement 1,5 million FCFA pour éponger la dette. Mais Mme Aka a opposé une fin de non-recevoir. C’est alors qu’elle a fait saisir le camion de ramassage de clinker de Daoudou MATCHI. Ensuite, le magasin de quincaillerie de la femme de ce dernier a été saisi, sur décision de Lamine Baba Yara, président du Tribunal de Kara.
On en était là quand le 16 novembre, le même procureur de la république de Kara, qui avait déclaré que l’affaire est civile, va faire arrêter à nouveau le Directeur de la SCP. Alors que non seulement le Tribunal de Kara n’est pas compétent pour connaître ce dossier, selon les termes du contrat, mais également il s’agit là d’une affaire commerciale, à régler au civil.
Selon plusieurs juristes chevronnés que nous avons eu à contacter, le règlement des affaires commerciales exige l’écriture de conclusions par avocats. Une procédure qui tranche carrément avec les affaires pénales où les mis en cause sont tenus de faire des dépositions. Et d’ailleurs les dispositions de l’UEMOA font obligation aux dirigeants des entreprises de se faire représenter par un avocat en matière commerciale. De même, l’acte uniforme OHADA sur les recouvrements et voies d’exécutions dispose que les dettes se réclament par des procédures de recouvrements d’huissier.
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Mais au Tribunal de Kara, c’est une autre réalité qui prévaut. Sinon, on se demande par quelle alchimie, le président du Tribunal de Kara, Lamine Baba Yara, le Procureur de la République, Setekpo Virgile et l’Huissier Likem K. Dobou sont parvenus à tout mettre en œuvre pour jeter et maintenir en prison depuis le 16 novembre 2018, le responsable de la Société commerciale polyvalente (SCP) dans une affaire purement civile.
Contactés pour en savoir davantage et avoir les explications des autorités du tribunal de Kara, le président de cette juridiction ainsi que le procureur nous ont envoyés balader.
« Une procédure judiciaire dans laquelle il y a des avocats pour défendre les parties, je ne sais pas ce qu’il faut vous expliquer. Je suis désolé, je ne sais pas ce que j’ai à vous dire », nous a balancé le Président du Tribunal de Kara avant de nous raccrocher au nez.
Le procureur, quant à lui, nous a tout simplement demandé de nous déplacer sur Kara avant qu’il ne se prononce. Alors que nous lui demandions juste comment se fait-il qu’une affaire purement civile est instruite au pénal au tribunal de Kara.
Au vu de ce qui précède, l’on est en droit de se demander si ce Tribunal fonctionne au-delà des normes juridiques universelles et qui sont pourtant appliquées par les autres tribunaux togolais. Qui pour dire le droit dans ce dossier et permettre au jeune entrepreneur togolais de recouvrer sa liberté pour pouvoir rembourser la dette et continuer ses activités commerciales qui ont pris un sérieux coup depuis mi-novembre où il croupit dans les geôles de Kara ? Quel signal donne-t-on aux investisseurs qui ambitionnent de s’installer au Togo ?
Autant de questions que l’on est en droit de se poser et qui malheureusement n’ont pas encore de réponses.