La corruption progresse dans le monde. L’Indice de perception de la corruption (IPC) 2023 publié en janvier dernier par Transparency International montre que dans la plupart des pays, la lutte contre la corruption du secteur public n’a pas ou peu progressé. À l’échelle mondiale, l’IPC moyen est de 43% et reste inchangé. Pour la douzième année consécutive, sur 180 pays classés, plus de deux tiers ont un score inférieur à 50. Le fléau demeure et entrave le développement des pays.
La corruption n’a pas de définition universelle. La définition la plus couramment utilisée considère qu’il s’agit de « l’abus des bureaux publics et privés pour obtenir un gain personnel ». Définie comme telle, la corruption entraîne une perte de recettes fiscales.
Capacité de nuisance de la corruption
Selon le magazine Finances & Développement, en 2013, des enquêteurs brésiliens travaillant sur une banale affaire de blanchiment de capitaux sont tombés sur un cas beaucoup plus sérieux : un stratagème de pots-de-vin et d’adjudications truquées impliquant le géant pétrolier Petrobras, contrôlé par l’État. L’opération « Lavage express », du nom donné à cette enquête par la suite, a révélé qu’un certain nombre des plus grandes entreprises brésiliennes de construction et d’ingénierie avaient versé des milliards de dollars de bakchichs sur plusieurs années pour obtenir de lucratifs contrats avec Petrobras. Des dizaines de fonctionnaires et de politiciens étaient impliqués dans le scandale.
De telles transactions douteuses ne se limitent bien sûr pas aux pays émergents comme le Brésil. Dans une affaire spectaculaire des années 70, des politiciens japonais ont accepté des dessous-de-table pour donner leur blanc-seing à des contrats d’acquisition d’avions militaires américains. De ce fait, partout où elle sévit, la corruption, ou l’abus d’une charge publique à des fins d’enrichissement personnel, altère les activités de l’État et finit par nuire à la croissance économique et à la qualité de vie des citoyens.
En fonction de son ampleur, la corruption peut avoir un effet très préjudiciable sur les finances publiques, car les autorités perçoivent moins de recettes fiscales et surpaient certains biens et services ou projets d’investissement. Le coût de la corruption est supérieur à la somme des manques à gagner. Faussant les priorités de dépenses, elle entrave la capacité de l’État à œuvrer pour une croissance durable et inclusive. Les fonds publics sont détournés de l’éducation, de la santé et de la qualité des infrastructures — autant d’investissements susceptibles d’améliorer les résultats économiques et d’élever le niveau de vie de l’ensemble de la population.
« La corruption freine la croissance économique, nuit à l’État de droit et entraîne un gaspillage de compétences et de ressources. Lorsque la corruption est systématique, les investissements sont frileux en raison de l’augmentation du coût de l’activité économique induite par la corruption. Elle fait également obstacle à la création et au développement de petites et moyennes entreprises capables de produire de la richesse pour les pays. Elle prive des millions de personnes à travers le monde de la prospérité, de leurs droits, des services et des emplois », a indiqué Kimelabalo Aba, président de la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA).
M. Aba intervenait à l’occasion du lancement du concours national des meilleures productions médiatiques sur la prévention et la lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
Réticence des citoyens dans le payement des impôts
De façon générale, la corruption réduit les recettes. Elle peut limiter la capacité des autorités à recouvrer l’impôt en toute équité et efficacité. Des législateurs corrompus peuvent mettre en place des exonérations d’impôts ou autres niches fiscales en échange de pots-de-vin et abaisser ainsi le potentiel de recettes.
En outre, plus le régime fiscal est complexe et opaque, plus il est facile pour les fonctionnaires de le gérer en usant de leur pouvoir discrétionnaire et d’extorquer des pots-de-vin ou des dessous-de-table en échange d’une issue favorable. Dans une affaire de 1996 rapportée par le New York Times, des fonctionnaires municipaux auraient accepté des commissions pour faire croire que des impôts non payés avaient bien été acquittés. Plus généralement, le contournement des lois fiscales et la corruption des fonctionnaires des impôts érodent la confiance du public envers l’État et découragent les citoyens de payer leurs impôts.
La lutte contre la corruption peut être très bénéfique pour les finances publiques. Nos recherches indiquent que les recettes sont plus élevées dans les pays considérés comme moins corrompus : le recouvrement des impôts dans les pays les moins corrompus dépasse de 4 % du PIB celui des pays de même niveau de développement économique, mais qui sont les plus corrompus.
Faiblesse des recettes dans les entreprises publiques
La corruption est également très répandue dans les entreprises publiques, dont la direction peut être vulnérable aux pressions excessives de fonctionnaires et d’élus. Les entreprises d’État dans les secteurs fondamentaux tels que l’énergie, les services publics et les transports, sont donc moins rentables et efficientes dans les pays plus corrompus.
Les recherches indiquent en outre que la corruption est l’une des principales raisons pour lesquelles les entreprises publiques ont tendance à être moins productives que les entreprises privées. Il est frappant de voir que, dans les pays où la corruption est moins répandue, la différence de résultats entre entreprises s’explique beaucoup moins en fonction de la structure du capital. Les achats de biens et services par l’État constituent un autre point névralgique, en raison notamment des énormes sommes d’argent en jeu ; les commandes publiques représentent 13 % du PIB en moyenne dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe 36 pays avancés.
Les commandes de l’État destinées à l’investissement public sont particulièrement vulnérables, en raison des caractéristiques souvent exceptionnelles des grands projets : il est plus difficile de comparer les dépenses et plus facile de dissimuler les pots-de-vin et de gonfler les coûts. C’est pourquoi la grande corruption est généralement liée à des projets complexes et coûteux, tels que travaux publics et l’achat de matériel de défense.
À titre de comparaison, il est plus difficile de toucher des commissions sur les rémunérations des enseignants ou des travailleurs de la santé. En conséquence, les dépenses consacrées à l’éducation et à la santé ont tendance à être plus faibles dans les pays très corrompus, ce qui compromet les chances d’amélioration de la productivité et des niveaux de vie des travailleurs. Parmi les pays à faible revenu, la proportion du budget consacrée à l’éducation et à la santé est inférieure d’un tiers dans les pays plus corrompus.
Il n’est donc pas surprenant que les résultats aux examens aient tendance à être plus faibles dans les pays où la corruption est endémique. Même si dans les pays plus corrompus les élèves passent autant de temps en classe que ceux d’autres pays, la qualité de l’enseignement est moins bonne. Ce n’est pas seulement parce que les dépenses sont moindres en faveur de l’éducation. Dans un certain nombre de pays, l’accès aux postes d’enseignants des écoles publiques repose sur pots-devin et relations. L’absentéisme des enseignants est une forme très répandue de petite corruption dans plusieurs pays en développement. A cela s’ajoute le scandale relatif aux fonctionnaires fictifs dans plusieurs pays africains.
Au Niger par exemple, selon une enquête menée en 2016 par la Haute autorité de lutte contre la corruption et infractions assimilées, près de 3000 enseignants fictifs coûtent 5 milliards de francs CFA au trésor public par an. Plus de 10.000 fonctionnaires fictifs ont été débusqués au Cameroun.
« Les agents fictifs coutent à l’État camerounais quelques 10 milliards de francs CFA par an » a révélé Cyrille Edou Alo’o, le directeur général du Budget, dans une interview publiée le 18 avril 2018 par le quotidien à capitaux publics Cameroon Tribune.
S’inspirer de la Géorgie
La lutte contre la corruption est complexe, mais elle peut être très bénéfique. Les pays qui freinent sensiblement la corruption sont récompensés par un afflux de recettes fiscales. Ce fut le cas de la Géorgie, où, en 2003, un nouveau gouvernement a lancé une campagne draconienne contre la corruption au plus haut niveau.
A l’arrivée, les recettes fiscales ont augmenté de 12 % à 25 % du PIB en 5 ans, alors même que les taux d’imposition ont été abaissés. Cette réussite de la Géorgie témoigne d’une nouvelle culture de civisme fiscal : la proportion de personnes estimant qu’il n’est en aucun cas justifiable de frauder est passée d’environ 50 % à près de 80 %.
Grâce à l’amélioration des services, notamment à la baisse des taux de criminalité et du nombre de coupures de courant, et au regain de confiance envers l’État, les citoyens sont plus enclins à payer leurs impôts. L’augmentation des recettes a également permis d’apurer les arriérés de salaires et de retraites, ravivant d’autant la confiance envers l’État.
Outre le renforcement des institutions nationales, la coopération internationale est fondamentale. Plus de 40 pays ont criminalisé les pots-de-vin versés par leurs entreprises pour obtenir des contrats à l’étranger. Les pays peuvent aussi réprimer férocement le blanchiment de capitaux et réduire les possibilités de dissimuler les produits de la corruption dans d’opaques centres financiers à l’étranger.
La lutte contre la corruption peut être titanesque, mais elle est indispensable pour rétablir la confiance des citoyens envers l’État. Elle peut aussi être source de considérables améliorations économiques et sociales à long terme. Elle débute par une volonté politique nationale, le renforcement continu des institutions pour encourager l’intégrité et la responsabilité, et la coopération entre tous les États. Le renforcement des systèmes judiciaires est aussi crucial dans cette lutte.
« La Corruption continuera à prospérer tant que les systèmes judiciaires ne pourront pas sanctionner les actes répréhensibles et maintenir les gouvernements sous contrôle. Lorsque la justice est achetée ou fait l’objet d’ingérences politiques, ce sont les citoyens qui en pâtissent. Les dirigeants doivent investir pleinement dans les Institutions chargées de faire respecter la loi et de lutter contre la corruption, et garantir leur indépendance. Il est temps de mettre fin à l’impunité de la corruption », a indiqué le président de Transparency International, François Valérian à l’occasion de la publication de l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2023.
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