Tribune – Il y a quelques jours, en comparant le traitement salarial des médecins togolais avec celui de leurs collègues sénégalais, Dr Gilbert Tsolenyanu a utilisé une formule choc « Notre salaire, c’est leur prime ». Cela veut tout dire. Qu’en est-il dans le département de la justice ?
Parce que la justice est le socle qui stabilise une société, sa défaillance ébranle tout, y compris les champs social et politique. Elle doit faire l’objet de toutes les attentions de la part de tout le monde.
Quel Togolais ne s’est jamais plaint des juges et des procureurs ? Très peu en réalité, car de nombreux citoyens ayant eu affaire à la justice sont désillusionnés, et parfois même dégoutés. Pourquoi y a-t-il tant de défaillances au sein de la justice, alors que nos magistrats sont généralement bien formés ? Ce n’est donc pas une question de compétence. Il faut par conséquent chercher des causes ailleurs.
Pour cela, regardons comment ils sont traités, peut-être pourrions-nous avoir des éléments de compréhension. Bien sûr, il ne s’agit surtout pas de dédouaner ces professionnels de la justice de leurs responsabilités individuelles dans les travers de l’institution, mais nous pouvons nous intéresser à la manière dont ils sont considérés par l’Etat.
Penchons-nous donc ensemble sur leurs rémunérations. En effet, dans la Constitution, un statut très particulier leur est reconnu. Ainsi, à l’alinéa 5 de l’article 118, la loi fondamentale précise que la rémunération des magistrats doit être fixée « conformément aux exigences d’indépendance et d’efficacité ». En d’autres termes, il faut qu’ils soient correctement payés pour protéger leur indépendance et assurer leur efficacité. C’est pratiquement la seule fois où la Constitution lie la rémunération d’un corps à la nature de la fonction, ce qui confirma sa spécificité.
Au vu de la réalité de leur traitement salarial, on est bien loin de la conformité à cette disposition constitutionnelle. Bien sûr les magistrats ne sont pas les moins bien payés dans la fonction publique, loin s’en faut, mais il est évident que leur salaire actuel n’est pas en mesure de protéger ni leur indépendance ni leur efficacité. La conséquence directe est que les magistrats sont dans une précarité et donc vulnérables, ce qui est préjudiciable à tous les justiciables.
La justice, un centre de pouvoir
Tout comme le législatif et l’Exécutif, la justice est un centre de pouvoir. Pourtant les traitements sont bien disproportionnés. Alors qu’un ministre et un député perçoivent respectivement environ 1.900.000 et 1.700.000 francs cfa, le salaire du magistrat débute à peine au quart de ce montant et plafonne en dessous de celui des élus pour ceux qui sont hors hiérarchie.
Qu’est ce qui explique une telle disparité de traitement, alors que la fonction de magistrat est très sensible comparativement à celle de député et de membre du gouvernement ? On n’ose pas se demander s’ils sont ainsi mal rémunérés, afin de mieux profiter de leur fragilité et de les contrôler, mais l’interrogation est légitime.
On peut aussi porter l’attention sur un autre phénomène. Depuis un moment on constate que les présidents des tribunaux et certains juges sont dotés de véhicules administratifs, alors qu’ils ne sont pas Procureurs de la République. Et la raison peut être surprenante. En effet, il s’agit de magistrats désignés comme présidents de Commission Electorale Locale Indépendante (CELI), dans le cadre des élections législatives et régionales prévues pour la fin du premier trimestre.
Ce qui signifie en d’autres termes, comme cela a toujours été le cas, pas d’élection pas de véhicule de fonction pour des magistrats. En fait, il ne s’agit même pas d’un véhicule de fonction, mais de mission, puisqu’à la fin du processus électoral, les voitures leur sont retirées. Tout ceci est une aberration.
Au-delà des frontières, en considérant la sous-région, les magistrats togolais sont aujourd’hui les moins rémunérés. A titre de comparaison avec le voisin de l’Est, si dans les deux pays les magistrats débutants sont à 500.000, un écart considérable se crée progressivement jusqu’aux magistrats hors hiérarchie. Ainsi, au Togo ces derniers stagnent à 1.400.000 alors qu’au Bénin ils gagnent plus de trois fois, avec rang de ministre à la clé et la dotation d’un chauffeur. La considération de l’Etat pour la fonction est très différente.
Au Togo, les magistrats – ils sont moins de 250 – doivent retrouver toute la considération qui leur est due. Il n’est pas concevable que les présidents des cours et tribunaux, ainsi que les procureurs de la République et les procureurs généraux ne puissent pas disposer d’un véhicule de fonction. C’est un minimum que l’Etat leur doit pour améliorer la qualité du service public qui fonde tout développement.
Il faut rappeler qu’il a fallu une grève pour que l’Assemblée nationale adopte en 2013 une loi qui revoie à la hausse le traitement salarial des magistrats. Des dispositions devraient être prises rapidement pour améliorer considérablement ce qui a été fait il y a plus d’une dizaine d’années. Il en va de l’indépendance de la justice et de son efficacité, et donc de son équité.
Gamesu
Nathaniel Olympio, Président de Kekeli
Cercle d’Etudes Stratégiques Sur l’Afrique de l’Ouest