Après avoir plaidé pour une annulation massive de la dette africaine en cette période de crise sanitaire, le président français Emmanuel Macron revêt le manteau de sauveur de l’économie africaine. Tel un loup dans la bergerie. Un pays dont la dette publique s’est envolée à 115,7% du PIB en 2020, un pays pilleur des ressources africaines et cause de la précarité des peuples de ses ex-colonies depuis des décennies, ce pays jouit-il de la légitimité requise pour réunir des chefs d’Etats africains pour parler endettement et développement?
Beaucoup d’africains éveillés voient d’un mauvais œil l’organisation d’un sommet consacré au financement des économies africaines par la France sur ses terres, alors que l’ancienne métropole est considérée comme l’une des causes du retard criard de développement de ses anciennes colonies. Macron, dans une logique impérialiste, ressuscite le concept de « Fardeau de l’homme blanc » qui avait pour devoir de porter sur ses épaules le développement économique et social des peuples colonisés. Si l’ingérence de la France dans les affaires intérieures des colonies posait au début des années 1900 un débat entre la préférence pour les colonies et la préférence nationale, depuis 1990, les français s’accommodent sans gêne de la relation incestueuse entretenue par leur pays avec les néo-colonies, conscients de l’intérêt généré.
La première guerre mondiale avait déjà apporté un consensus sur la question coloniale en France. La colonisation était devenue dans l’esprit des Français une solution à toutes les crises, elle pouvait assurer le relèvement national et promouvoir la grandeur et le rayonnement de la France. Cette croyance se consolide d’année en année, surtout dans un contexte géopolitique qui fait de l’Afrique, objet de toutes les convoitises, un vaste champ de compétitions entre les grandes puissances, la Russie, la Chine, les Etats-Unis, notamment. Une réalité qui oblige la France à renforcer sans cesse son rôle de sentinelle, pour consolider et pérenniser la colonisation, et dans le cadre du sommet du 18 mai 2021, celui de pseudo protectrice des économies africaines. Macron, pour la circonstance, a rallié à sa cause des dirigeants européens et des institutions de Bretton woods, le FMI et la Banque mondiale, sûrement pour maquiller le décor de la prédation dans toute son horreur. La Banque mondiale et le FMI sont les plus grands instruments utilisés par les prédateurs pour la perpétuation de l’appauvrissement du continent africain.
Dette, CFA et crime contre les peuples
L’économie française n’est pas, elle aussi, debout, en cette période de pandémie à coronavirus. La dette publique s’est envolée en France en 2020 à 115,7% du produit intérieur brut (PIB) et le déficit s’est creusé à 9,2%, soit son niveau « le plus élevé depuis 1949 », a indiqué l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) de la France le 26 mars 2021. La dette atteint ainsi 2.650,1 milliards d’euros et le déficit 211,5 milliards d’euros. La réunion de Paris était divisée en deux sessions, l’une sur le « financement et le traitement de la dette » publique, l’autre sur « le secteur privé africain ». L’idée de ce Sommet de toutes les polémiques a germé à l’automne 2020, quand le FMI a calculé que le continent risquait de se heurter à un déficit de financement de 290 milliards de dollars d’ici 2023. Opportuniste, la France, quand bien même endettée jusqu’au coup, s’investit de la mission de penser et panser l’économie des pays africains. Curieux. La démarche est hautement suspecte, quand à l’évidence, on sait que c’est cette France qui a pris en otage la souveraineté économique de 14 pays africains et celle de l’Union des Comores à travers l’émission et le contrôle du franc CFA et du franc comorien, et l’application du pacte colonial. Le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo pour l’Union économique et monétaire ouest-africaine «Uemoa», en plus du Cameroun, de la République Centrafricaine, du Tchad, du Congo, et du Gabon pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale «Cemac» en plus des Comores paient le prix du pacte colonial France Afrique qui «pèse lourdement» sur leurs destinées.
Des décennies de néocolonialisme après dans la zone franc, la monnaie CFA ruine gravement les pays membres. Ces pays continuent par déposer 50% de leurs réserves de change au Trésor français en application du point 2 du pacte colonial. Cette disposition portant confiscation automatique des réserves financières nationales impose obligation de centralisation des réserves de change des banques centrales des pays africains membres de la zone franc dans les livres du Trésor français. Le taux de ces réserves était de 65 % avant de passer à 50 % pour la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest en 2005 et la Banque des États de l’Afrique centrale en 2007. Il a, en revanche, été maintenu à 65 % pour la Banque centrale des Comores.
Pour financer son propre développement, la France s’appuie sur les intérêts engrangés par la gestion du franc CFA. Selon l’économiste sénégalais Sanou Mbaye, ex-fonctionnaire à la Banque africaine de développement « BAD», «la France investit ces réserves qui représentent des dizaines de milliards de dollars, dans des bons du trésor qu’elle utilise ensuite pour garantir les prêts qu’elle lève pour financer son propre déficit public».
A part le versement d’une part de leurs avoirs en devises, le contrôle de la monnaie des pays suscités garantit à la métropole l’exclusivité des exportations des matières premières locales, le pourvoi du marché local pour les importations et la définition des politiques à adopter par ces pays africains. Autrement, tous les échanges des pays zone CFA se font à Paris où les trois banques centrales africaines de la Zone franc déposent une partie de leurs réserves de change sur des « comptes d’opérations » ouverts dans les livres du Trésor français, au nom de chaque banque centrale. C’est la France qui fait les règlements extérieurs pour tous les pays zone CFA.
Le Togo veut acheter par exemple un tracteur en Allemagne dans le cadre d’un projet de mécanisation de son agriculture, les frais de transaction doivent passer par le Trésor français qui règle la facture au fournisseur au nom du Togo. Il s’agit là de l’importation. Même mécanisme à l’exportation. Le Togo veut vendre son phosphate à la Chine par exemple, le pays acheteur règle la facture au Trésor français qui crédite à son tour le compte du Togo, en application du principe de garantie de convertibilité illimitée. Ainsi, sur le plan commercial, la France a l’œil sur toutes les entrées et toutes les sorties, aussi bien des matières premières que des équipements de toutes sortes. La France devient l’interface, un écran entre les pays zone CFA et les Comores, et le reste du monde.
D’ailleurs, en ce qui concerne les équipements militaires, la France a le droit exclusif de livraison à tous ces pays (point 5 du pacte). La France a le premier droit d’achat des ressources naturelles de la terre de ses ex-colonies. Ce n’est qu’après que la France ait dit: «?Je ne suis pas intéressée?», que les pays africains sont autorisés à chercher d’autres partenaires (point 3 du pacte). Tout ce mécanisme est régi par les principes et modalités de fonctionnement de la coopération monétaire, à savoir la garantie de convertibilité illimitée accordée par le Trésor français aux deux francs CFA et au franc comorien; la fixité des parités avec la monnaie ancre ; la libre transférabilité et la fameuse centralisation des réserves de change.
En vérité, le principe de garantie de convertibilité illimitée n’est que bluff. La France n’est pas assez riche pour jouer ce rôle, elle est trop petite pour assurer les échanges commerciaux de 15 pays africains dont certains sont plus riches qu’elle-même. Malgré ces énormes atouts et privilèges de la France dans l’exploitation du CFA, elle est clouée au pilori sur le chantier des investissements en Afrique par la Chine.
A en croire Chicot Éboué, Professeur des universités en Sciences économiques à l’Université de Lorraine, « La Chine a beaucoup plus investi dans les pays africains que tout l’Occident en 50 ans ». « La Chine finance de nombreuses infrastructures en Afrique telles que les routes, les barrages, les ponts, les centrales électriques. Sans infrastructures, point de développement. La France qui est implantée depuis un siècle, a cessé de financer les infrastructures il y a longtemps », ajoute-t-il.
Et pourtant, les entreprises françaises ont investi tous les secteurs vitaux de l’économie africaine et cette France joue toutes les cartes, même les plus violentes et les plus sanglantes contre les africains, pour contrer l’hégémonie des autres puissances, et préserver ainsi ce qu’elle considère comme sa « chasse gardée ». L’invention du CFA est un crime perpétré contre les peuples des 14 pays africains de la zone CFA. Cette monnaie qui entretient le sous-développement depuis 1945 a provoqué déjà une hécatombe, des millions de morts sur l’autel de la précarité, de l’absence d’hôpitaux dignes de ce nom, du manque de couverture sanitaire, du manque d’eau, d’énergie, de l’insécurité alimentaire, du manque de débouchés pour les diplômés…
Prédation, barbarie
Au vu de ces réalités réductrices de l’Afrique sous anesthésie française et qui tente d’amorcer son développement, le Sommet de Paris s’apparente plus à un cirque où joue avec art un gourou qui a le don d’asservir ses valets économiquement, en se passant pour le Rédempteur qui apporte des solutions miracles. La France est le premier responsable de l’asphyxie économique des pays africains sous sa coupole. De tout temps, la France, surtout depuis le rétablissement de l’esclavage par Napoléon par la loi du 20 mai 1802, a toujours appliqué la politique de la prédation et de la barbarie pure pour soumettre ses colonies et les exploiter sans pitié.
Sa stratégie est bien connue, mettre en veilleuse l’éveil des dirigeants africains, annoncer théoriquement la rupture avec la Françafrique, se dissimuler dans le pelage d’agneau, s’afficher comme celle qui est hautement préoccupée par l’émancipation et le bien-être de ses « partenaires », euphémisme pour couvrir « néo-colonies », et exploiter de fond en comble leurs richesses. La France, en organisant son Sommet de Paris, était bel et bien dans son rôle, celui de la prédation stratégiquement organisée. Comment le prédateur peut-il s’occuper de la bonne santé de ses proies, alors qu’elle-même est gravement malade, couchée sur le lit de la dette qui pèse 2.650,1 milliards d’euros soit un billiard sept cent trente-cinq billion sept cent cinquante milliards (17357 5000 000 000 0) CFA. La France n’a aucune légitimité, pas même l’ombre d’une légitimité, pour organiser un Sommet sur les économies africaines. Comment un pays qui a arraché et confisqué tous les attributs de souveraineté des pays africains, la monnaie, la sécurité, notamment, peut-elle se vanter d’une légitimité pour organiser une réunion à grande pompe destinée à redynamiser les économies des pays que sa politique extérieure met à genou sur tous les plans ? Comment des pays africains peuvent-ils se développer s’ils ne sont pas capables de déterminer leur politique monétaire ? Pour Edouard Balladur, ancien Premier ministre français, – référence à un français pour appuyer l’objectivité et la pertinence du propos – un pays ne peut pas être souverain et ne pas avoir sa monnaie. C’est à travers la monnaie que l’on détermine l’indépendance d’un Etat.
La monnaie est le premier pilier de l’indépendance, suit la sécurité. Mais la monnaie et la sécurité de nos Etats sont gérées par la France. Du CFA à l’Eco, tout se mijote pour faire le bonnet blanc blanc bonnet. On parle de réforme de CFA alors que les peuples veulent tout simplement un total déracinement du baobab CFA, et l’enfumage s’organise avec tact, en parfaite complicité avec certains dirigeants au premier rang, Alassane Ouattara, et certaines élites africaines dont le Togolais Kako Nubukpo vivement suspecté. C’est la France qui vend les armes aux pays africains, c’est la France qui forme les officiers, patati patata. La France fait tout.
Point 5 du pacte colonial : « Droit exclusif de fournir des équipements militaires et de former les officiers militaires des colonies ». Point 6 : « Le droit pour la France de déployer des troupes et l’intervenir militairement dans le pays pour défendre ses intérêts ».
Dans la pratique, grâce à un système sophistiqué de bourses, de subventions, et les «accords de défense» attachés au pacte colonial, les africains doivent envoyer leurs officiers supérieurs en formation en France. En vertu de ce qu’on appelle «les accords de défense» attachés au pacte colonial, la France a le droit d’intervenir militairement dans les pays africains, et aussi de stationner des troupes en permanence dans les bases et installations militaires, entièrement gérées par les Français. C’est dire que de tous côtés, la France étrangle les pays africains.
Pour étouffer un chef d’Etat « rebelle », la France peut geler les avoirs d’un pays logés au Trésor français, pour provoquer une asphyxie financière, ou intervenir militairement pour sauvegarder ses intérêts en tirant, sans retenue, à bout portant sur des populations à mains nues. La scène de fusillade du 8 novembre 2004 sur le parking de l’hôtel Ivoire en Côte d’Ivoire est une belle illustration.
« Le 8 novembre, l’armée française s’installe à l’hôtel Ivoire… Des soldats, bien campés sur leurs jambes, tirent en rafales. Certains au-dessus des têtes, d’autres à tir tendu, le fusil au niveau de la poitrine (…) Quand les tirs cessent finalement, les caméras ivoiriennes continuent d’enregistrer : les victimes, la terreur, la chair entamée par les balles, une main arrachée, les os brisés par le métal. « Qu’est-ce qu’on a fait à la France ? », hurle un homme. Une image choque particulièrement : un corps sans tête. La boîte crânienne a explosé et la cervelle s’est répandue autour d’elle », une scène effroyable racontée par le journaliste Paul Moreira dans son ouvrage « Les Nouvelles censures, dans les coulisses de la manipulation de l’information », Page 67.
Triste. Aujourd’hui, Macron a enclenché une dynamique nouvelle d’expansion, ce qui justifie la présence à la réunion de Paris de dirigeants de l’Afrique du Nord. C’est en fait une stratégie de floutage pour ne pas donner l’impression que la France ne s’intéresse qu’à ses néo-colonies.
Halte, résignation !
Les présidents africains ont le devoir, s’ils veulent reposer les bases du développement de leurs pays, de franchir un cap, de brûler la politesse à la résignation pour devenir de vrais leaders nationalistes afin de rompre définitivement les liens du pacte colonial et restaurer la souveraineté de leurs pays dans toutes ses dimensions.
Les moyens de lutte et de résistance, l’Afrique en dispose pour se libérer. Mais l’erreur réside dans les tentatives solitaires, elles ont échoué hier, elles échoueront toujours. Les exemples sont légion. Lorsque Sékou Touré opta en 1958 pour l’indépendance, il a payé le prix fort. La France s’est déchaînée sur la Guinée, tout ce qui représentait les avantages de la colonisation française a été détruit. Trois mille Français quittèrent le pays, en prenant tous leurs biens et détruisant tout ce qui ne pouvait être déplacé: les écoles, les crèches, les bâtiments de l’administration publique, les voitures, les livres, les médicaments, les instruments de l’institut de recherche, les tracteurs ont été écrasés et sabotés; les chevaux, les vaches dans les fermes ont été tués, et les nourritures entreposées furent brûlées ou empoisonnées. De faux francs guinéens ont été déversés pour anéantir l’économie guinéenne.
Sylvanus Olympio, le premier président de la République du Togo et premier président élu de l’Afrique indépendante, ne voulant pas continuer à subir la domination française, refusa de signer le pacte colonial proposé par de Gaulle. Mais pour calmer cette France dangereuse, il accepta en contrepartie de lui payer une dette annuelle pour les avantages obtenus lors de la colonisation française. Toutefois, le montant estimé par la France était si grand que le remboursement de la soi-disant « dette coloniale » était proche de 40 % du budget du pays en 1963. Dès lors, la situation financière du Togo tout juste indépendant fut très instable, et afin de se sortir de cette situation, Olympio décida de sortir du système monétaire mis en place par la France coloniale, le franc CFA, et créa la monnaie du Togo. Le 13 Janvier 1963, trois jours après le début de l’impression des nouveaux billets, une escouade de soldats soutenus par la France va l’exécuter.
Le 30 juin 1962, Modiba Keita, le premier président de la République du Mali, décida également de se retirer du système monétaire FCFA. Celui-ci considérait cette monnaie comme un fardeau pour le développement de son pays. Le 19 novembre 1968, comme Olympio, Keita sera victime d’un coup d’Etat. Même le Général Gnassingbé Eyadéma est sur la liste des victimes de la barbarie de la France. Il a eu le culot de demander à la France une révision des accords commerciaux sur le CFA. Il subit dans la foulée les affres de sa témérité : attentat de Sarakawa le 24 janvier 1974. Il s’en sortit miraculeusement, grâce à ses pouvoirs mystiques. En effet, d’après un mythe célèbre, Eyadéma aurait disparu de l’avion qui a fait crash, pour apparaître physiquement dans le couvent de son féticheur (« Hounon » en mina, langue locale) Agbodjan à Tsévié. Fermons la parenthèse.
Au Niger, Hamani Diori a voulu vendre son uranium à un autre pays que la France, il a été déposé par un coup d’Etat. Passons sous silence le sort réservé, entre autres, à Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Barthelemy Boganda, Mouammar Khadafi, William-Richard Tolbert, Teferi Bante, Anouar el-Sadate, François-Ngarta Tombalbaye.
Les conflits armés qui quadrillent le continent ici et là et le rôle que s’attribue la France dans leur gestion, les accusations d’instigation qui la visent, renseignent sur la détermination de ce pays à tout mettre en œuvre pour maintenir son grappin sur les pays africains afin de tenir durablement son rang dans le concert des grandes nations.
François Mitterrand, ancien président français, avait déjà prophétisé en 1957 : « Sans l’Afrique, la France n’aura pas d’histoire au 21e siècle ».
Donc pour la France, il est clair que sa place en Afrique est une question de vie ou de mort, c’est pourquoi elle est prête à tout.
« Il faut une résistance collective, assurée par les leaders politiques, les élites africaines et la société civile », conseille le géo-économe sénégalais Siré Sy.
Tous ces différents acteurs, mus par patriotisme et panafricanisme, dans une dynamique unitaire, doivent réfléchir à l’invention de nouveaux paradigmes qui permettent de mener avec une efficacité insoupçonnée la lutte contre le « système France ».
Mais le chemin paraît encore long, rien qu’à voir la désunion flagrante des dirigeants et l’intelligentsia africains dans la lutte pour l’avènement de l’Eco en remplacement du CFA.